Tatiana Melnychenko (Abigaille), Paolo Gavanelli (Nabucco), Ievgen Orlov (Zaccaria), Antoine Bélanger (Ismaele) et Margaret Mezzacappa (Fenena).
Spectacle d'abord monté à Washington en 2012, ce Nabucco aux mérites divers permet au public montréalais de découvrir enfin le baryton Paolo Gavanelli, qui devait initialement faire ses débuts en novembre 2013 dans le rôle de Falstaff. Avouons que notre attente a été récompensée puisque l'artiste offre une leçon de chant absolument magistrale : on ne sait quoi admirer le plus, de l'infinie palette de couleurs de la voix, du legato souverain ou de l'émotion à fleur de peau de son interprétation. Sans conteste, voilà une des incarnations majeures qu'il nous a été donné d'entendre ces dernières années à l'Opéra de Montréal. À ses côtés, la soprano russe Tatiana Melnychenko est une Abigaille solide ; à l'exception de quelques problèmes dans l'aigu, elle maîtrise bien l'écriture meurtrière d'un rôle qui ne semble guère l'effrayer. Capable d'un chant tout en puissance qui lui fait dominer sans peine les masses orchestrales et chorales, elle sait parfaitement plier sa voix aux longues lignes mélodieuses de « Anch'io dischiuso un giorno ». Margaret Mezzacappa est, pour sa part, une Fenena nuancée, touchante et à l'aigu rayonnant. Le registre aigu est justement ce qui fait le plus cruellement défaut à Ievgen Orlov, dont le grand prêtre Zaccaria s'avère fort décevant en dépit d'un grave bien timbré. Quant à Antoine Bélanger, son Ismaele ne prend jamais vraiment vie en raison d'une voix nettement trop légère pour le rôle. Après un début légèrement timoré, les chœurs se ressaisissent de la plus belle façon pour offrir un superbe « Va, pensiero » et un grandiose hymne final à Jéhovah. Le chef Francesco Maria Colombo et l'Orchestre Métropolitain offrent une lecture soignée mais un rien trop sage d'une partition où doit éclater à chaque instant l'énergie bouillonnante de la jeunesse.
Responsable à la fois de la scénographie et de la mise en scène, Thaddeus Strassberger nous replonge au moment de la création de l'œuvre, en 1842, à La Scala. Côté jardin, on retrouve trois loges superposées où prennent place des spectateurs autrichiens. Les décors rappellent le carton-pâte et les châssis du XIXe siècle, avec un côté volontairement kitsch dans la surcharge de détail. L'excès se retrouve aussi du côté de la mise en scène, qui en vient à nous faire oublier l'action principale. Ainsi, pourquoi faire apparaître au beau milieu de l'air d'Abigaille (deuxième partie) des moines venant se prosterner devant une idole invisible ? Et à quoi peut bien rimer la présence de derviches tourneurs au moment où, toujours dans ce même tableau, le chœur acclame Abigaille pour lui confier le pouvoir ? Les coups de théâtre ne sont pas vraiment au point : il faudrait mieux sentir la foudre de Jéhovah qui s'abat sur Nabucco à la fin de la deuxième partie et faire en sorte que la destruction de l'idole au dernier tableau relève moins de l'exploit pyrotechnique. Le véritable clou de la soirée, le metteur en scène nous le réserve pour la toute fin. Au moment où Paolo Gavanelli vient saluer le public et reçoit un bouquet lancé par une figurante dans une des loges du décor de La Scala, le chanteur jette avec fureur les fleurs et entonne « Va, pensiero » avec le chœur en guise de protestation contre l'occupant autrichien. L'idée est brillante et nous laisse sur un souvenir saisissant, qui fait oublier de nombreuses incrongruités. Outre cette scène finale inattendue, on retiendra d'abord de cette production le Nabucco anthologique de Paolo Gavanelli.
L.B.
Voir aussi notre édition de Nabucco : L’Avant-Scène Opéra n° 86
Photos : Yves Renaud.