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Latonia Moore (soprano).

 

Pour la première fois depuis sa fondation en 2011, le Festival d'opéra de Québec présente cette année une programmation d’où est absent le nom de Robert Lepage, dont les productions spectaculaires font toujours accourir le public de sa ville natale. Après l'éblouissement du Rossignol de Stravinsky et de La Tempête de Thomas Adès, il est certain que ce Jugement dernier, version scénique du Requiem de Verdi d'abord donnée à Cannes en 2010 puis à Moscou en 2012, fait pâle figure. Premier sujet d'étonnement : l'œuvre est donnée dans un ordre qu'on pourrait qualifier d'aléatoire, puisque le « Libera me » ouvre une soirée qui se termine par le « Lacrymosa »... Ont échappé à cette curieuse opération les premières sections de l'ouvrage (« Introït et Kyrie » et toute la séquence du « Dies iræ »), jouées cependant en seconde partie. Le metteur en scène Paolo Miccichè relègue l'orchestre dans la fosse, habille solistes et choristes d'une sorte de bure blanche et projette à l'arrière-scène et sur un rideau à l'avant-plan des images de la fresque du Jugement dernier, mais aussi du plafond de la chapelle Sixtine. Selon l'atmosphère tourmentée ou plus apaisée de la partition, les reproductions défilent à un rythme haletant ou beaucoup plus lent. Outre les œuvres sublimes de Michel-Ange, les projections nous font voir un cimetière et ses innombrables stèles funéraires, un ciel rougeoyant et même de brèves scènes rappelant quelque peu le fameux film Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio (explosion d'un édifice, cohue dans la ville...). Quatre cubes font office de sièges pour les solistes qui ont fort peu à faire scéniquement et qui n'interagissent jamais avec le chœur.

Si l'aspect visuel du spectacle est globalement réussi, l'exécution musicale laisse quant à elle une impression pour le moins partagée. Dans une forme remarquable, le chœur de l'Opéra de Québec est superbe d'homogénéité et de puissance expressive, en particulier dans les sections des hommes. Le chef Ira Levin et l'Orchestre symphonique de Québec se hissent au même sommet, notamment dans un « Tuba mirum » à la fois grandiose et terrifiant. Tout au plus pourra-t-on reprocher aux coups de grosse caisse de n'être pas tous parfaitement à contretemps dans le « Dies iræ ». Mais la seconde source d'étonnement, et de déception, consiste dans le choix des solistes. La soprano Latonia Moore possède une excellente projection, un timbre assez séduisant et un bon grave, mais elle se révèle incapable de soutenir les longues phrases verdiennes ; l'aigu est le plus souvent laborieux, la justesse très approximative et la fin du « Rex tremendæ » expose cruellement ses faiblesses. Eux aussi dépassés par les exigences de leurs solos respectifs, la mezzo Eleni Matos et le ténor Manrico Tedeschi éprouvent de surcroît bien des difficultés à se fondre harmonieusement dans les ensembles. Sans pour autant laisser un souvenir impérissable, la basse Luiz-Ottavio Faria est le seul membre du quatuor vocal dont le chant soit en adéquation avec le style de l'œuvre. Associant dans un spectacle singulier les génies de Verdi et de Michel-Ange, ce Jugement dernier mérite le détour d'abord et avant tout pour la splendide interprétation du chœur et de l'orchestre.

L.B.


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Latonia Moore (soprano), Eleni Matos (mezzo-soprano), Manrico Tedeschi (ténor), Luiz-Ottavio Faria (basse). Photos : Louise Leblanc.