Petra Lang (Ortrud), Thomas J. Mayer (Telramund), Klaus Florian Vogt (Lohengrin), Edith Haller (Elsa) et Wilhelm Schwinghammer (le Roi).
On connaît bien cette production de Lohengrin : depuis 2010, les rats de laboratoire de Hans Neuenfels occupent un décor d’une beauté glaciale, entre Bauhaus et design contemporain. Un beau scandale, à l’époque, surtout quand le public découvrit à la fin un Gottfried-fœtus hideux jetant en pâture son cordon ombilical. Conclusion provocante et ambiguë d’une histoire qui nous a dit l’échec du rêve et l’impossibilité du couple – tout commence d’ailleurs symboliquement par un Lohengrin tentant d’ouvrir une porte close. Les humains-rats restent parfois drôles, plus encore les petites souris roses. Mais l’insolence pessimiste de la lecture s’est frelatée. Peut-être ne faut-il pas non plus voir ce Lohengrin après les trois premiers volets du Ring revus par Frank Castorf.
Regietheater pour Regietheater, en effet, on préfère de beaucoup celui de l’intendant de la Schaubühne, plus inventif, plus libre. Neuenfels s’enferme, se raidit dans un concept au fond assez peu lisible malgré les clins d’œil à l’histoire – le cygne suspendu, éclatant de blancheur à l’arrivée de Lohengrin, déplumé comme une volaille à la fin du premier acte… Le finale du deuxième, où l’on se croirait presque à Broadway, veut-il nous rappeler que Wagner ne s’est pas encore vraiment affranchi du grand opéra ? Il reste surtout que, comme Castorf, Neuenfels connaît la direction d’acteurs, même s’il ne va pas aussi loin. La relation de domination amoureuse qui fonde le couple Telramund, ainsi, est particulièrement fouillée – cela aurait sans doute plu à Wieland Wagner.
Andris Nelsons retrouve une fois de plus la fosse mystique – un jeune, comme Kirill Petrenko, signe du renouvellement des générations de chefs à Bayreuth. Il faut attendre le deuxième acte pour qu’il trouve ses marques : après un beau Prélude, le premier patine. La direction révèle ensuite ses qualités de transparence, n’oubliant jamais que Lohengrin reste un opéra romantique qui ne se dirige pas comme le Ring, pas assez architecturée cependant pour unifier les différents registres d’une œuvre où plusieurs musiques cohabitent.
Vocalement, le plateau est homogène, même si l’on aimerait parfois des caractérisations plus affinées. Petra Lang, par exemple, ne joue guère que sur la méchanceté d’Ortrud, forte de la puissance de son mezzo retrouvé, pas assez insinuante. Le Roi de Wilhelm Schwinghammer devrait davantage oublier son Fasolt. Mais Thomas J. Mayer, poussé dans les retranchements de sa voix, phrase son Telramund tourmenté, Samuel Youn donne au Héraut un relief patricien. Edith Haller a de la présence en Elsa de chair et de sang, prête à lutter jusqu’au bout, ne pâtissant que de la dureté de ses notes aiguës. Klaus Florian Vogt ? Sans doute le Lohengrin du moment avec Jonas Kaufmann – si différent, à l’extrême opposé même. Une émission droite, un timbre pauvre en couleurs, un chant d’Evangéliste, que le ténor transforme habilement en atouts pour un chevalier vraiment venu d’ailleurs, plein d’innocence lumineuse, quasi adolescente, blanc comme son cygne, aux nuances immatérielles – on aime ou on déteste.
D.V.M.
Voir aussi notre numéro consacré à Lohengrin : L’Avant-Scène Opéra n° 272
et notre numéro spécial sur Le Festival de Bayreuth : L’Avant-Scène Opéra n° 274
Edith Haller (Elsa), Samuel Youn (le Héraut), Wilhelm Schwinghammer (le Roi) et Thomas J. Mayer (Telramund). Photos : Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath.