Alessandro Corbelli (Don Geronio) et Olga Peretyatko (Fiorilla).
Houleux accostage que celui du Turc en Italie à Aix-en-Provence : après une soirée de première (le 4 juillet) annulée en raison de la grève des intermittents, la deuxième représentation a dû être déplacée in extremis de l’Ancien Archevêché au Grand Théâtre de Provence, pour cause de menace météorologique. Il n’empêche : le résultat – une version de concert mise en espace –, s’il pouvait laisser au spectateur la frustration de n’avoir pu découvrir les décors d’Andrew Lieberman destinés à la mise en scène de Christopher Alden, fut une véritable soirée de théâtre abouti, doublée d’une exceptionnelle réussite musicale.
Galvanisés par le challenge de cette délocalisation impromptue comme par l’acoustique tonique et flatteuse du Grand Théâtre de Provence, les Musiciens du Louvre Grenoble ont délivré une Ouverture magistrale, pétulante et virtuose, sous la baguette d’un Marc Minkowski hautement à son affaire, sachant jouer avec la fougue rossinienne, sa verve et son raffinement. Tempi au nerf dompté, éclats de soli disposés avec art et, surtout, la joie d’un geste volubile et joueur, communiquée à un orchestre heureux. Cet esprit a perduré pendant toute la soirée, assaisonné du plaisir des musiciens de pouvoir, pour une fois, suivre l’action développée sous leurs yeux, réagir au jeu des chanteurs – qui plus est dans cet ouvrage où l’opéra semble se créer en temps réel sous la dictée d’un Poète en quête d’inspiration.
Poète également en quête de personnages : le Turc s’auto-engendre de leur chassé-croisé amoureux téléguidé par cet auteur en mal de bonne intrigue. Même sans décors, le travail de direction d’acteurs de Christopher Alden porte alors ses fruits : les sept interprètes de la production campent des figures bien dessinées, qui se répondent avec peps – les costumes vintage de Kaye Voyce ajoutant une sympathique touche années 50, très « comédie à l’italienne ». Comme l’équipe est, vocalement, tout aussi homogène et di qualità, la soirée est enthousiasmante. Outre des comprimari bien tenus (la Zaida de Cecelia Hall et l’Albazar de Juan Sancho, dont le sens burlesque compense le timbre un peu vert) et un Ensemble vocal Aedes sans faux pas, la brochette des hommes gravitant autour de la belle Fiorilla est de premier choix : Don Geronio à bout de nerfs d’Alessandro Corbelli, parfait en mari roulé dans la farine et buffo magistral ; Don Narciso à la vocalise de paon de Lawrence Brownlee, prétendant éconduit mais ténor vindicatif ; Selim superbe d’Adrian Sampetrean, qui possède toutes les qualités pour brosser un Turc séduisant – métal cuivré –, un rossinien de haute voltige – sillabando redoutable – et un bellâtre pris au piège – jeu inspiré. Objet de leur convoitise, la Fiorilla d’Olga Peretyatko frappe fort, tant pas son chant jubilant – fiorito et aigus comme graves brandis en autant d’armes féminines – que par son abattage scénique, pimenté d’un sens certain de la séduction rouée : elle obtient un triomphe mérité. Mais le plus stupéfiant, même si le rôle n’est pas le plus payant vocalement, est peut-être le Poète de Pietro Spagnoli : de voix, de jeu, de présence, de conception scénique aussi, ce Prosdocimo est tout simplement coulé dans la musique et le mot, devance et accompagne la moindre inflexion du livret comme s’il le façonnait in situ, surpris lui-même de ses propres trouvailles et des péripéties que le hasard lui apporte en cadeau.
Il faudra certes découvrir la production dans son entier (elle sera retransmise en direct le 11 juillet sur arteconcert.com), mais force est de constater que cette représentation, avec sa dose d’improvisation et d’adaptation forcées, a produit une soirée lyrique électrique et impeccablement accordée à l’esprit expérimental du Turc en Italie.
C.C.
Lire aussi notre édition du Turc en Italie : L’Avant-Scène Opéra n° 169.
Cecelia Hall (Zaida) et Olga Peretyatko (Fiorilla). Photos : Patrick Berger / ArtComArt.