La scène finale du Prologue.
Pour sa première mise en scène d'un opéra de Verdi, Daniel Bösch propose un Simon Boccanegra sombre, voire désespéré, qui traduit fort bien les paroles que chante Fiesco au dernier tableau : «Toute joie sur la terre est un charme mensonger ; le cœur de l'homme est source de larmes infinies. » Tout est ici oppressant, privé de couleurs, et la mer ne se laisse jamais deviner que par le commentaire orchestral de Verdi. La nature est uniquement présente par la Lune, à laquelle semble s'adresser Amelia au premier acte, et qui revient immense, surdimensionnée, au tableau final. Le prologue se déroule devant une imposante tour percée de nombreuses fenêtres que les choristes ouvrent au moment de leurs interventions ponctuelles. Le palais des Fieschi devient ainsi métaphore de la ville tout entière de Gênes, ce qui peut certes déconcerter. Cela dit, le Prologue s'achève sur une scène saisissante : alors que le peuple acclame le nouveau doge et que d'innombrables projections de son nom envahissent la tour, Simon apparaît dévasté au sommet de celle-ci, portant dans ses bras la dépouille de sa bien-aimée. Malheureusement, une telle intensité ne se renouvellera plus guère et le metteur en scène semble souvent en panne d'inspiration. Pour illustrer le passage du temps entre le Prologue et le premier acte, il projette des dessins d'une naïveté enfantine et assez risibles, accompagnés de quelques mots en anglais... Plus heureuse est l'utilisation des lettres formant PACE sur les murs du Palais des Abbés (dans la scène du Conseil), et qui se verront séparées pour montrer le caractère illusoire du rêve de paix que caresse Boccanegra. Dans ce tableau, les conseillers sont tous des vieillards à demi impotents, complètement dépassés par la violence des événements qui viennent semer le chaos dans la cité. De cette production d'une froideur aseptisée, on sauvera cependant une scène finale poignante, où Simon retrouve enfin sa Maria chérie habillée en mariée et avec laquelle il marche lentement vers l'arrière-scène dominée par la Lune, à travers les choristes revêtus eux aussi de vêtements nuptiaux. L'effet est sobre mais d'une grande efficacité dramatique.
Accablé sous le poids des ans et des soucis dès le Prologue, Andrzej Dobber est un Simon à la voix bien projetée, auquel on pardonnerait aisément une justesse parfois approximative s'il possédait une palette de couleurs plus variée. À son chant par trop monochrome correspond un jeu trop souvent indifférent. Si Ermonela Jaho peut sembler de prime abord un peu sous-dimensionnée en Amelia, elle fait bien vite oublier cette première impression trompeuse par la force de son incarnation, ses aigus lumineux et de superbes pianissimi. Excellent acteur, doté d'une jolie voix de ténor, Pavel Cernoch trouve en Gabriele Adorno un rôle à la limite de ses moyens. Le Fiesco de Riccardo Zanellato possède en revanche une solide voix de basse qui fait merveille dans « Il lacerato spirito » et les duos avec Boccanegra. Malgré un grave un peu faible, Ashley Holland est quant à lui un Paolo parfaitement en situation, tandis que Lukas Jakobski s'avère décevant en Pietro. Tour à tour nerveuse, vibrante et enflammée, la direction de Daniele Rustioni sert admirablement la partition de Verdi, en particulier dans le début du premier acte, où les bois se répondent dans une belle ivresse sonore. Tout au plus peut-on reprocher au chef une certaine tendance à couvrir les voix et un tempo un peu rapide dans le postlude de l'air de Fiesco. Dans une forme souveraine, les chœurs achèvent de nous convaincre que cette représentation se distingue davantage par ses qualités musicales que scéniques.
L.B.
Lire aussi notre édition consacrée à Simon Boccanegra : L’Avant-Scène Opéra n° 19 (mis à jour en 2012).
Pavel Cernoch (Gabriele Adorno), Ermonela Jaho (Amelia), Andrzej Dobber (Simon Boccanegra), Riccardo Zanellato (Fiesco). Photos : Stofleth.