Photo : Vanappelghem.
Verdi les a tous éclipsés : Salieri, Nicolai, Vaughan-Williams. Des Joyeuses Commères de Windsor de Nicolai, par exemple, on ne connaît guère que l’Ouverture. Qui sait encore qu’Alice devient Frau Fluth et Meg Frau Reich, dont la fille Anna rêve d’épousera Fenton ? Robert Heger, Bernhard Klee, Rafael Kubelik ont pourtant laissé de superbes versions de ce délicieux opéra-comique, où le compositeur est aussi à l’aise dans la coquinerie des commères que dans les mystères de la forêt. Weber et Mendelssohn sont passés par là, mais aussi l’opéra italien… et Nicolai, à son tour, annonce Johann Strauss ou Offenbach. Après L’Aiglon la saison dernière, l’Opéra de Lausanne clôture sa saison avec une rareté.
Et si Falstaff n’était pas un vieux bedonnant ? Si Alice couchait pour de bon avec lui ? Ou avait envie de le faire ? Si Falstaff devenait aussi objet de désir, lui qui, nous dit David Hermann, « met à nu les désirs ardents, dénoue les émotions, dévoile les rêves ». Pour tout cela, il convoque un psychanalyste, que consulte un couple Fluth fort mal en point – la jalousie du mari frise l’aliénation. Ce sont les coulisses de la bonne société de Windsor, qui habite villas avec piscine et gazon, achète des bagnoles rutilantes et se retrouve dans des bars clean, une société tellement démangée par ses fantasmes qu’elle a du mal à se tenir. Voilà le Singspiel transformé en thérapie, nouveau texte parlé à l’appui. Tarte à la crème d’une modernité ressassée ? Les craintes sont vite dissipées : c’est drôle, pétillant, jamais lourd. Et l’on prend plaisir à cette production style comédie américaine des années 1960, réglée au cordeau par une direction d’acteurs impeccable et virevoltante. Le metteur en scène ne bute pas sur la pierre d’achoppement du délirant finale : pour souligner la permanence du dionysiaque, il réinvestit la bacchanale antique dans notre monde d’aujourd’hui, à travers ce Falstaff en satyre cornu… et une partie à trois avec les deux dames.
Sous la baguette vive et colorée, parfois un peu trop sonore de Frank Beermann, l’Orchestre de chambre de Lausanne soutient une excellente production, dominée par la Frau Fluth de Valentina Farcas, piquante à souhait, silhouette et voix élancées, phrasé malicieux ou enjôleur, vocalise leste, aigu facile. Il faudra suivre de près sa commère Frau Reich : timbre opulent de vrai mezzo, Eve-Maud Hubeaux n’attend pas le nombre des années pour impressionner. Espoir aussi, la charmante Alice de Céline Mellon doit en revanche compenser par la fraîcheur de la ligne un timbre citronné qu’il faudra arrondir. Son Fenton, au contraire, séduit par une voix à la fois mâle et moelleuse, un chant très stylé où perce le beau Tamino qu’il doit être. Le Fluth mordant et plein de présence d’Oliver Zwarg, jamais débraillé dans la jalousie, fait bien de consulter l’excellent psy de Jean-Luc Borgeat. Falstaff plus ambigu que truculent, moins grotesque qu’inquiétant, Michael Tews a de quoi le préoccuper, basse plus chantante que profonde, qui ne sacrifie jamais les droits du chant. Seconds rôles parfaitement tenus : un spectacle aussi homogène que divertissant.
D.V.M.