Les résurrections d'œuvres oubliées n'apportent pas toujours ce que l'on en espérait. Celle du Saphir, en tout cas, n'aura pas déçu et vient, après de nombreuses autres initiatives dont il faut créditer le Palazzetto Bru Zane / Centre de Musique Romantique Française, confirmer que Félicien David est bien un de ces talents – sinon le génie – injustement méconnus dont regorge l'histoire de la musique. Dernier opéra-comique du compositeur, créé en 1865 avec un succès public et critique certain, l'œuvre nous est parvenue sans son orchestration et c'est à Alexandre et Benoît Dratwicki que l'on doit la transcription pour neuf instrumentistes – quintette à cordes et petite harmonie – remarquable de finesse et de crédibilité dans laquelle brillent les solistes du Cercle de l’Harmonie. Le meilleur de l'œuvre est à chercher dans les deux derniers actes où le musicien, stimulé par les situations d'un livret caractéristique de l'opéra-comique léger, a concentré le meilleur de son savoir-faire et de son inspiration mélodique. D'étonnants ensembles d'une inventivité pleine de surprise – quatuor puis sextuor, trio bouffe à l’acte III –, des airs caractéristiques comme cette chanson « napolitaine » ou cet air de ténor au lyrisme captivant avant le finale joliment troussé, évoquent quelque peu les jeunes Gounod et Bizet et l'héritage du Berlioz de Beatrice et Bénédict, avec qui le livret partage ses origines shakespeariennes. Dû à la plume efficace de Leuven, Carré et Hadot, il s'inspire en effet de la comédie Tout est bien qui finit bien et mélange habilement tendresse et humour dans des situations où le quiproquo et le déguisement servent de prétexte, avec cet esprit typique propre à l'opéra-comique français que l'on retrouve de L'Amant jaloux de Grétry aux opérettes pastorales du premier Offenbach, celui des Bouffes-Parisiens et des Champs-Elysées.
L'équipe de jeunes chanteurs menée de main de maître par l'archet élégant et précis de Julien Chauvin, premier violon du Cercle de l'Harmonie, ne mérite que des éloges tant pour la beauté des voix que la justesse du style. C'est à peine si l'on peut faire une petite réserve sur la qualité de l'articulation française qui, dans les numéros musicaux, manque parfois légèrement de clarté, ce qui est malheureusement souvent le cas avec la jeune génération de chanteurs français. On distinguera la Fiammetta piquante de Katia Velletaz, la suave Hermine de Gabrielle Philiponet à l’aigu facile et le Gaston de Cyrille Dubois dont le ténor s'est singulièrement épanoui depuis sa sortie de l'Atelier Lyrique. Mais Marie Kalinine, dans le double rôle de la Reine de Navarre et de Lucrezia, Marie Lenormand dans celui du Page et Julien Véronèse en capitaine Parole, bien que ne bénéficiant pas d'un air pour se valoriser, caractérisent avec beaucoup d'efficacité leurs personnages plus secondaires et apportent une musicalité sans faille aux ensembles. La réalisation des dialogues parlés est à la hauteur de la réussite musicale. Au final, il faut bien l'admettre, ce Saphir possède vraiment beaucoup d’atouts et de charme. Que ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir l’entendre se rassurent, le Palazzetto en a effectué un enregistrement en avril dernier qui devrait nous permettre de (ré)apprécier cet authentique bijou.
A.C.