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Kamen Chanev (Calaf).

L'Opéra de Montréal connaît une fin de saison triomphale avec une Turandot dont la mise en scène éblouissante et la qualité de l'interprétation musicale concourent à faire de ce spectacle une très grande réussite. Empruntée à Opera Australia, la production de Graeme Murphy remonte à 1990 et a fait l'objet d'un DVD filmé à Melbourne en 2012. Dans une élégante scénographie de Kristian Fredrikson qui s'éloigne de la surcharge décorative qui trop souvent écrase l'œuvre, le metteur en scène fait preuve d'une imagination sans cesse en éveil pour illustrer chacun des tableaux de ce conte cruel. De par sa formation de chorégraphe, Murphy sait parfaitement animer la foule tantôt déchaînée, tantôt suppliante, pour en faire un protagoniste à part entière. Certaines scènes possèdent la grâce du ballet, comme le chœur féminin du premier acte décrivant le repos de Turandot, pendant lequel les choristes toutes de blanc vêtues évoluent avec d'immenses éventails. Le premier tableau du deuxième acte, qui peut parfois sembler longuet, est une source d'émerveillement constant : Ping, Pang et Pong s'y livrent à toutes sortes de jeux de scène avec ce qui ressemble d'abord à des espèces de paravents, mais qui deviennent tour à tour chaises à porteurs, berçantes et même édredons. Seule ombre au tableau de cette splendeur visuelle : le monticule à la forme bizarre qui fait office de trône impérial et qui ne laisse paraître que la tête du « Fils du Ciel ». Non seulement l'effet est peu heureux, mais l'éloignement du chanteur nécessite le recours à une sonorisation assez gênante.

Au sein d'une solide distribution, la soprano russe Galina Shesterneva se distingue en incarnant une Turandot saisissante d'autorité, au matériau vocal à toute épreuve et dont le rayonnement des aigus n'a d'égal que la richesse d'un médium et d'un grave hors du commun. Après un « In questa reggia » un peu pressé, elle s'affirme comme une interprète exceptionnelle, particulièrement impressionnante au dernier acte, et au jeu toujours sensible. Nettement moins subtil, le Calaf de Kamen Chanev n'en soulève pas moins l'enthousiasme du public avec sa voix de stentor ; l'aigu claironnant fait merveille dans « Nessun dorma » et autres passages exposés, mais le grave manque singulièrement de substance. Follement acclamée, Hiromi Omura campe une Liù délicate et touchante, mais dont le jeu nuancé ne peut faire oublier certaines faiblesses vocales, notamment un relatif manque d'homogénéité et sa difficulté à soutenir en apesanteur les longues notes aiguës si caractéristique de ce rôle. Outre le superbe Timur de Grigori Soloviov, on retiendra le magnifique trio de ministres défendus par Jonathan Beyer, Jean-Michel Richer et Aaron Sheppard. Si l'on fait abstraction de quelques attaques imprécises, le chœur a brillé tout au long de la soirée et a fort bien répondu aux exigences du metteur en scène. Enfin, Paul Nadler dirige l'Orchestre métropolitain avec un admirable sens des coloris et un instinct dramatique très sûr qui culmine en de formidables climax à la fin du premier acte et lors de la mort de Liù. Au même titre que Galina Shesterneva et Graeme Murphy, il est l'un des principaux artisans de cette très belle représentation.

L.B.

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Kamen Chanev (Calaf) et Galina Shesterneva (Turandot). Photos : Yves Renaud.