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Nahuel di Pierro (Lorenzo), Charles Castronovo (Tebaldo) et Paul Gay (Capellio).


Parmi les reprises de la saison, Les Capulet et les Montaigu est l’occasion de retrouver cet « autre » Roméo et Juliette, plus italien que shakespearien, bellinien avant tout en son couple de voix féminines tendrement fusionnées. Après Vesselina Kasarova et Laura Claycomb (1996), Cristina Gallardo-Domâs et Jennifer Larmore (1998) ou Patrizia Ciofi / Anna Netrebko et Joyce Di Donato (2008), c’est cette année au tour d’Ekaterina Siurina et Karine Deshayes d’endosser les habits des amants de Vérone dans la production de Robert Carsen – initialement créée au Grand Théâtre de Genève en 1990.

Réalisée ici par Isabelle Cardin, cette mise en scène avoue un peu son âge : une gestion des chœurs parfois hasardeuse (certains alignements sont gratuitement opérés puis tout autant gratuitement défaits) ou une direction d’acteurs en berne (laissée ici ou là à l’académisme d’une épée alternativement dégainée et rengainée) sont signes d’un Carsen ou trop ancien, ou trop absent. On s’avoue néanmoins séduit par la scénographie de Michael Levine qui traduit avec sobriété et exactitude la double tragédie en jeu : une passion adolescente que broie l’univers médiéval d’une vendetta clanique. Les hautes parois aveugles du décor, aussi évocatrices d’une demeure patricienne et austère que de la crypte où mourront les amants, sont suffisamment abstraites pour que l’imaginaire puisse jouer – de même qu’une résonance discrète avec les panneaux de poirier de l’Opéra Bastille. Elles dévoilent, au gré des éclairages, une teinte flamboyante qui prend son véritable sens dans la couleur sang qui macule, éclatante, le rideau intermédiaire. Le rouge est mis – tel celui du velours des costumes des Capulet, que vient seul contrepointer le noir de la nuit et du vêtement des Montaigu. Dans cet univers à l’économie visuelle sévère, on aurait donc aimé un théâtre lui aussi plus abrupt, d’autant que quelques belles idées avivent encore ces regrets – portées toujours par les figurants : le combat au ralenti du finale primo, ou la fraternisation post mortem des ennemis, fantômes lentement émergés du massacre.

On aurait aimé aussi une direction musicale plus subtile que celle de Bruno Campanella, qui semble vouloir convaincre ceux qui craignent que Bellini ne soit que ligne émolliente ; du coup, sécheresses et coups de boutoir sont au rendez-vous – pourquoi pas, mais aussi sonorités bruyantes plutôt que puissantes, et chanteurs poussés dans la même direction (les chœurs heureusement échappent à cet excès). C’est redondant avec le chant ici fort peu idiomatique de Paul Gay, uniment stentorien et souvent droit, voire haut, qui ne parvient pas à conférer à Capellio prestance ou complexité ; c’est dommageable pour celui de Nahuel di Pierro (Lorenzo), capable de plus de nuances que cela, comme pour Charles Castronovo qui tient son Tebaldo avec dignité mais sans le libérer vraiment. Et cela s’avère même périlleux pour le bas-médium de Karine Deshayes, la seule zone où son beau et long mezzo trouve quelque fragilité, surtout dans le fiorito – l’acoustique de Bastille n’y est pas non plus étrangère. On est pourtant admiratif de son Roméo juvénile et ardent, poignant même lors de sa mort. Sa Giulietta lui est joliment appariée : juvénile aussi, tendre et veloutée de timbre comme d’émission, Ekaterina Siurina est touchante et sert avec aisance et élégance l’écriture bellinienne. Soirée séduisante, donc, malgré ses imperfections.

C.C.

Voir notre numéro consacré aux Capulets et Montaigus : L’Avant-Scène Opéra n° 122


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Nahuel di Pierro (Lorenzo), Charles Castronovo (Tebaldo), Yun Jung Choi (Giulietta), remplaçant Ekaterina Siurina à la première, Paul Gay (Capellio) et Karine Deshayes (Romeo). Photos : Opéra national de Paris / Mirco Magliocca.