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Jeremy Milner (Hagen), Petra Lang (Brünnhilde), Johannes Martin Kränzle (Gunther), John Daszak (Siegfried) et Edith Haller (Gutrune).

 

Cohérence et probité

Fin du Ring genevois, qu'on pourra revoir dans son intégralité en juin. S'il n'entrera pas dans l'histoire, il restera dans nos mémoires pour sa cohérence, sa probité et sa fidélité à Wagner. Au risque de passer pour d'un autre âge, Dieter Dorn privilégie la lisibilité de la narration et la direction d'acteurs plutôt que le concept. Les personnages, du coup, y gagnent en épaisseur : ce Crépuscule des dieux nous montre un Gunther gonflé de vanité et de pleutrerie, une Brünnhilde à l'ironie mordante, pas seulement une icône de souffrance. Certes, la mise à distance finit par peser, avec cette Grane en forme de jouet, ces machinistes agitant des toiles pour simuler les ondulations rhénanes, ces humains descendant des cintres à la fin pour incarner l'humanité nouvelle. Mais tout révèle une intimité profonde avec l'univers du Ring et une volonté d'en préserver la continuité : omniprésentes depuis L'Or du Rhin, les Nornes, au-delà du Prologue, resurgissent, passant comme des ombres au deuxième acte, des torches à la main. On voit bien aussi que le temps des dieux est révolu : ils ne sont plus que têtes funéraires dans le palais des Gibichungen. Bref, de la belle ouvrage.

Le metteur en scène a trouvé dans le chef son parfait alter ego, qui tout autant refuse la grandeur surhumaine de l'épopée. Ingo Metzmacher, lui aussi, nous donne à lire la partition, dont il débrouille l'écheveau avec une clarté toute chambriste, jamais pompier au deuxième acte. Lecture assez horizontale, nous dévoilant telle ou telle ligne qu'on avait négligée, très soucieuse de maintenir la continuité du flux dramatique - il porte ainsi le premier acte, où la direction d'acteurs accuse parfois des baisses de régime, à bout de baguette. Rien à voir, pourtant, avec certaines radiographies un peu froides : au-delà de la polyphonie, on entend des couleurs, des mélodies de timbres. 

Les chanteurs n'ont donc rien à craindre d'une direction qui les écoute et les ménage, surtout le couple malheureux. Petra Lang peine en effet à trouver ses marques au premier acte, avec des registres mal soudés, des aigus problématiques. La voix se stabilise ensuite, assez endurante pour parvenir sans encombre à la redoutable scène finale, la force de la composition compensant les failles du chant. John Daszak, qui n'est sans doute pas un Siegfried, donne aussitôt de son côté des signes de fatigue, alors que la troisième journée est pour lui moins éprouvante que la deuxième. Le dernier acte, plus léger, le montre plus assuré - mais pas toujours - en Wälsung juvénile et naïf. Chez les Gibichungen, Edith Haller et Johannes Kränzle rehaussent les figures souvent sacrifiées du frère et de la sœur, alors que les graves et la noirceur de Hagen manquent cruellement à Jeremy Milner, moins en situation que l'Alberich de John Lundgren. Les Nornes sont un peu pâles, mais les ondines pleines de charme et de fraîcheur. La Waltraute de Michelle Breedt, elle, nous a offert un des moments les plus forts de ce Crépuscule des dieux genevois.

D.V.M.

Voir aussi nos numéros consacrés au Ring de Wagner : L'Avant-Scène Opéra n° 227 à 230


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Petra Lang (Brünnhilde) et John Daszak (Siegfried). Photos : GTG / Carole Parodi.