Cyril Auvity (Mercure), Marcel Beekman (Platée), Edwin Crossley-Mercer (Jupiter), Marc Mauillon (Cithéron), Joao Fernandes (Momus) et le Arnold Schönberg Chor lors de la création de la production au Theater an der Wien en février 2014.
Croire que l’apparence est la clé du bonheur – et savoir que la beauté est, parfois, celle du pouvoir – croire que le it bag du mois fera de vous une idole – et expérimenter la portée destructrice d’une faute de goût… A l’Opéra-Comique (et en co-production avec le Theater an der Wien), la vanité d’une nymphe très laide qui se croit irrésistible et veut jouer dans la cour des grandes, croise celle des fashion addicts, club très fermé où toute nouvelle impétrante se doit d’être irréprochable, à moins de finir laminée. Loin des marais et de l’Olympe, Robert Carsen immerge sa Platée dans le monde sans pitié de la mode, avec le sens de la transposition qu’on lui connaît : Jupiter-Lagerfeld et Coco-Junon sont ici les dieux tutélaires, et Mercure l’assistant débordé d’une autre divinité plus occulte (d’aucuns auront reconnu la frange rousse et les solaires d’Anna Wintour, rédac’ chef de Vogue et papesse de la mode planétaire). A la scénographie, Gideon Davey s’en donne à cœur joie : décors tout de miroirs et reflets, et orgie de costumes déclinés en looks plus pointus les uns que les autres, y compris un vrai défilé – celui des apparences revêtues par Jupiter, qui donne lieu à des variations sur les thèmes du nuage, de l’âne et du hibou.
Au chœur des Arts Florissants se fondent des figurants – qui portent à merveille le stretch taille 34 et les stilettos vertigineux – et des danseurs – chorégraphies à vif de Nicolas Paul –, tout ce beau monde porté par un esprit de comédie joyeusement partagée. On danse, on rit, dialogues et airs sont piquants et rythmés : c’est la belle réussite conjuguée de la direction d’acteurs de Robert Carsen et de la direction musicale de Paul Agnew, qui connaît sa Platée sur le bout des… palmes – on se souvient de son incarnation attachante dans la production de Laurent Pelly – mais qui ravit ici par sa direction sûre et fluide à la fois, geste swinguant, bonheur communicatif qui porte l’orchestre à son meilleur.
D’un plateau sans faute – à l’exception de la Folie de Simone Kermes, imprécise de justesse comme de mise en place et manquant de vraie fantaisie, chacun y démontre des qualités de chant, de jeu, de ton, fort homogènes – émerge, triomphante, la Platée de Marcel Beekman. Dessiné par Carsen en femme-femme épanouie, doté d’un timbre à la santé insolente et d’une technique rompue au chant contemporain, il se joue, avec une liberté suprême et frondeuse, aussi bien de la vocalité ramiste que des enjeux physiques de son incarnation. Les dernières scènes le voient passer de l’abattage d’une Jacqueline Maillan à la détresse nue de toute femme humiliée, élevée au rang d’une fureur antique qui n’a plus rien de drôle ou de pitoyable. Un sommet, digne de l’année Rameau.
C.C.
Lire aussi nos numéros consacrés à Platée : L’ASO n° 189 et à Robert Carsen : L’ASO n° 269
Simone Kermes (la Folie), la danseuse Suzanne Meyer, Marcel Beekman (Platée, de dos en robe rouge), et le Arnold Schönberg Chor (Vienne 2014). Photos : Monika Rittershaus.