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Andrew Schroeder (Arthus) et Elisabete Matos (Genièvre) ; au sol : Bernard Imbert (Mordred).

 

On se faisait une fête de retrouver le si rare ouvrage de Chausson, ce « Tristan et Isolde français » aussi légendaire que ses protagonistes – Genièvre et Lancelot, et Arthus leur roi trahi mais transfiguré par l’épreuve. Hélas, la belle audace de programmation de l’Opéra national du Rhin échoue doublement : faute d’une mise en scène digne de l’enjeu et d’une distribution à la hauteur de la partition.

Pourtant, à la tête d’un Orchestre symphonique de Mulhouse qui semble réhaussé depuis l’an passé (La Petite Renarde rusée, en février 2013, en avait accusé les limites, mais son nouveau directeur musical, Patrick Davin, a apparemment changé la donne), Jacques Lacombe ne démérite pas : si on regrette une palette de dynamiques trop étroite, la direction n’en est pas moins attentive et efficace. Reste que les Chœurs de l’Opéra national du Rhin sont, eux, dépassés par l’écriture très tendue de Chausson – ténors et soprani auraient dû être suppléés par un ensemble mieux rompu à cet opératisme flamboyant. Reste aussi qu’en l’absence de solistes à même d’assumer les tessitures wagnériennes de l’opéra – ou bien de comprendre son style complexe, où des langueurs pelléassiennes alternent avec une vocalité incandescente –, la direction musicale peine à bâtir le cheminement d’une soirée qui devient trop souvent souffrance pour l’auditeur.

Exceptons d’emblée l’Arthus d’Andrew Schroeder : outre un français châtié, l’Américain possède une musicalité qui fait l’honneur de la représentation ; ce n’est pas lui faire injure que de noter toutefois que sa voix reste un peu légère pour le personnage du Roi, qu’il dessine néanmoins avec subtilité et émotion. Mais de même qu’Arthus est trahi par sa femme et son ami, le beau chant de Schroeder l’est par le Lancelot d’Andrew Richards – sous-dimensionné par rapport aux attentes d’endurance, de vaillance, d’éclat et de style de la partition, et donc toujours en peine –, et plus encore par l’impossible Genièvre d’Elisabete Matos – timbre astringent, vibrato hululant, chant agressif. De bons seconds rôles fort bien chantants (notamment Bernard Imbert en Mordred et Nicolas Cavallier en Merlin) ne peuvent à eux seuls sauver Arthus.

De la mise en scène de Keith Warner, il y a finalement peu à dire si ce n’est qu’elle est l’autre grande erreur de casting de la production. Le souffle du mythe s’aplatit en réalisme historique : la création du Roi Arthus en 1903 nous vaut une scénographie (David Fielding) pré-Grande Guerre, fortement tricolore et aux décors lourdement explicatifs. La direction d’acteurs est elle aussi pompière, appelant ici les yeux ronds, là les sourires gênés. C’est d’ailleurs la gêne qui domine à la fin, quand de timides applaudissements accueillent les premiers saluts. On veut croire que les scolaires qui ont assisté à la soirée – par ailleurs préparés par un dossier pédagogique remarquablement conçu – ne penseront pas que l’opéra, c’est ça, ni que Arthus, ce n’est que ça. On veut croire aussi que l’Opéra du Rhin retrouvera le chemin de productions inventives et de qualité. Comme dirait le Chœur céleste qui accompagne l’apothéose d’Arthus : « Sur ton front royal / Qu’a dédaigné la victoire, / Plane la suprême gloire / D’avoir cru dans l’Idéal. »

C.C.


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Andrew Richards (Lancelot), Andrew Schroeder (Arthus) et Elisabete Matos (Genièvre). Photos : Alain Kaiser.