Occasion quelque peu manquée pour cette résurrection d'Herculanum de Félicien David auquel un disque – enregistré quelques jours plus tôt à Bruxelles – donnera peut-être une seconde chance. Toute la première partie souffre en effet de l'absence du grand contralto qui apporterait au personnage d'Olympia puissance vocale et crédibilité dramatique. Karine Deshayes, aphone, ne peut donner la moindre substance à son registre grave et à son medium et marquera pendant toute la soirée. Non seulement le duo de la séduction, un des numéros les plus intéressants du premier acte, s'en trouve défiguré mais tous les grands ensembles, et singulièrement le finale de l'acte II, en sont complètement déséquilibrés. Le reste de la distribution ne démérite pas mais on aimerait un peu plus de clarté dans la diction chez l'Hélion par ailleurs très brillant d'Edgaras Montvidas et une autre envergure que celle de Julien Véronèse pour son rôle prophétique de Magnus car s'il possède un beau matériau vocal, le chanteur, lui, reste bien trivial. Il ne manque à Nicolas Courjal, par ailleurs très bien chantant, qu'un supplément de noirceur dans le timbre pour porter son double rôle de Nicanor/Satan au niveau de puissance dramatique de son modèle, le Bertram de Robert le Diable. Véronique Gens, diction souveraine, timbre royal, chant investi, impose avec beaucoup d'évidence la noblesse de son personnage de martyre chrétienne et domine l'ensemble de sa stature de tragédienne lyrique.

D'étonnantes audaces voisinent avec des numéros de pure convention dans cette œuvre un rien éclectique, prise entre le souvenir de Meyerbeer et une invention mélodique qui n'est pas sans suggérer le premier Gounod, dans le registre intime. Le meilleur est à trouver dans une écriture chorale variée qui va du pittoresque le plus comique au religieux le plus sublime, une orchestration très suggestive qui sait créer habilement les différents climats de l'action, et un sens de la continuité dramatique qui prend toute sa dimension dans les deux derniers actes. Le grand duo du sacrifice des deux amants (Helios et Lelia) à l'acte IV reste comme un moment majeur de la partition, de même que la scène d'invocation de Satan, bien qu'on y sente à l'arrière-plan les modèles dont elle s'inspire – Meyerbeer et Gounod – sans leur génie particulier. Il est vrai que le livret de Joseph Méry est un bien curieux mélange de péplum, de religieux et de fantastique qui ne pouvait susciter une dramaturgie musicale plus homogène ; mais l'écriture de Félicien David possède un réel pouvoir d'évocation visuelle et, dans ses moments les plus inspirés, fait penser à la peinture d'histoire contemporaine, celle des Thomas Couture et des William Bouguereau. A la tête de l'excellent Chœur de la Radio flamande et de l'Orchestre philharmonique de Bruxelles, Hervé Niquet se dépense sans compter pour porter cet opéra un peu atypique qui possède finalement une véritable originalité et donne envie d'aller plus loin dans la découverte d'un compositeur dont le redécouverte semble vouloir s'amorcer.

A.C.