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Raffaela Lupinacci (Emilia), Carmen Romeu (Desdemona), Maxim Mironov (Rodrigo), Josef Wagner (Elmiro), Robert McPherson (Iago).

 

Phénoménal ! C'est le mot qui vient à l'esprit devant l'extraordinaire performance de Gregory Kunde dans cette reprise anversoise de l'Otello de Rossini que les Parisiens pourront voir au Théâtre des Champs-Elysées en avril prochain. Mais sans lui. Depuis sa première incarnation du rôle à Pesaro en 2007, le ténor semble encore avoir gagné en puissance de projection. Les rôles spinto verdiens qu'il a récemment abordés ne lui ont rien fait perdre de sa souplesse dans la vocalise, bien au contraire. Le médium s'est encore élargi et enrichi, ne laissant désormais quasiment rien à désirer en termes de profondeur de timbre. Quant à l'aigu, il reste d'une vaillance inépuisable. Chacune de ses apparitions possède une intensité inoubliable car il a fait sien ce rôle exigeant dont il maîtrise toutes les difficultés et auquel il donne une force dramatique incomparable. C'est singulièrement frappant à la fin du premier acte, jusque-là un peu languissant et dont l'intérêt rebondit dès son arrivée.

Dans ces conditions, il est bien difficile à son entourage, pourtant d'excellent niveau, de se hisser à la hauteur de son incarnation. Maxim Mironov (Rodrigo) paraît souvent techniquement mal assuré et le timbre, avec son vibratello caractéristique, manque un peu de plénitude. Le grand plateau ouvert du premier acte ne l'aide guère à se faire entendre et il faut attendre le deuxième pour qu'enfin son émission s'affermisse – mais l'effort reste souvent sensible. A tout prendre, Robert McPherson (Iago), voix également assez légère et un peu trop proche de la sienne pour leur duo de l'acte I, paraît plus solide et affronte son grand duo avec le rôle-titre avec un aplomb remarquable. La jeune Carmen Romeu ne se défend pas mal face à la tessiture complexe de Desdemona dont ses origines de mezzo lui assurent la maîtrise des aspects les plus centraux ; mais la voix s'amenuise dangereusement vers l'aigu et le timbre paraît assez ordinaire. Curieusement, la voix est moins brillante que celle de l'excellente Emilia de Raffaela Lupinacci, qui prend largement le dessus dans leur duo du premier acte. Un bel engagement scénique sauve toutefois sa grande scène finale qui demande encore à être mûrie vocalement. La basse maison, Josef Wagner, se révèle parfaitement à la hauteur du rôle épisodique d'Elmiro.

De Zurich à Anvers, la production de Patrice Caurier et Moshe Leiser semble avoir perdu quelques-uns de ses traits les plus radicaux. A la fin du deuxième acte, lorsque Desdémone désespérée affronte son père dans ce sous-sol sordide où elle est venue à la rencontre d'Otello, elle ne se renverse plus la cannette de bière sur la tête dans un geste de défi, comme le faisait Cecilia Bartoli dans la version originale. Mais la transposition dans l'univers militaire et grand-bourgeois des années 60, et la direction d'acteurs très fouillée, confèrent beaucoup de crédibilité à l'action. Les décors d'une froideur et d'un rigorisme extrêmes de Christian Fenouillat contribuent à créer le climat sinistre dans lequel l'œuvre prend toute sa dimension tragique. Que l'on apprécie ou non les aspects un peu véristes de cette approche, il faut reconnaître que le concept est décliné d'une façon totalement convaincante.

A 86 ans sonnés, Alberto Zedda paraît dans une forme éblouissante et dirige avec une passion et une fougue de jeune homme cette partition décidément très originale. On s'étonne toutefois que le maestro ait accepté pour des raisons de mise en scène la coupure du très beau chœur nuptial qui introduit le finale du premier acte. On pourra le retrouver dans l'enregistrement qui a été réalisé à l'occasion de cette reprise et qui viendra heureusement immortaliser sa conception d'un des opéras sérias les plus novateurs de Rossini, et surtout l'Otello hors du commun de Gregory Kunde, décidément un des ténors les plus étonnants de notre époque.

A.C.

Lire aussi notre numéro consacré à Otello de Rossini : L’Avant-Scène Opéra n° 278


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Gregory Kunde (Otello), Carmen Romeu (Desdemona). Photos : Vlaamse Opera / Annemie Augustijns.