Measha Brueggergosman (Bess) et Kenneth Overton (Porgy).
Pour faire oublier le temps d'une soirée les rigueurs de l'hiver québécois, l'Opéra de Montréal présente pour la première fois de son histoire Porgy and Bess dans la célèbre production que créa le Houston Grand Opera en 1995 et que reprirent par la suite diverses compagnies américaines et l'Opéra Bastille en 1996-1997. Les splendides décors de Ken Foy, que mettent fort bien en valeur les éclairages d'Anne-Catherine Simard-Deraspe, évoquent avec infiniment de charme le quartier désargenté de Catfish Row et l'exotisme de l'île de Kittiwah. Dans un dispositif scénique ingénieux qui permet de rapides changements de scènes, le metteur en scène Lemuel Wade confère à la collectivité la présence essentielle et forte qui lui revient de droit : que ce soit pour exprimer la simple joie de vivre, la confiance inébranlable au « Doctor Jesus » ou l'épouvante face au déchaînement de la nature, le chœur habite véritablement l'espace. À cet égard, les membres du Montréal Jubilation Gospel Choir jouent avec un enthousiasme tellement communicatif qu'ils font pardonner quelques imprécisions et un certain manque d'homogénéité entre les diverses sections.
Très touchant en Porgy, Kenneth Overton fait ressortir à la fois la vulnérabilité affective et la force de caractère de son personnage. Sa voix se marie idéalement à celle de Measha Brueggergosman, dotée d'un timbre particulièrement riche dans le médium et le grave. Si tous deux plafonnent un peu dans l'aigu, leur interprétation musicale et dramatique demeure toutefois d'un haut niveau.
Brûlant les planches, le Sportin' Life de Jermaine Smith fait crouler la salle avec un « It ain't necessarily so » d'anthologie, où il se permet des variations du plus heureux effet. La voix tient moins ses promesses par la suite, mais sa dégaine et ses immenses qualités d'acteur font merveille tout au long du spectacle. Lester Lynch impose une grande autorité vocale et scénique dans le rôle de Crown, tout comme le superbe Jake de Michael Preacely. Après un « Summertime » timoré et manquant de legato, Chantale Nurse se ressaisit pour offrir un portrait sensible de Clara. Plus constante, Marie-Josée Lord est une Serena intense et qui, en dépit d'un vibrato envahissant, émeut dans « My man's gone now » et sa prière pour le rétablissement de Bess.
Remarqué l'an dernier dans Dead Man Walking, Wayne Marshall dirige l'Orchestre symphonique de Montréal avec un extraordinaire sens du rythme et un instinct dramatique très sûr. La somptuosité de l'accompagnement orchestral ne contribue pas peu au grand succès de ces représentations qui affichent toutes déjà complet et qui prouvent avec éloquence le pouvoir de séduction de la partition de Gershwin.
L.B.
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Chantale Nurse (Clara). Photos : Yves Renaud.