Photos : Nelly Gerin.
Ceci n’a pas tué cela et Faust survit grâce à ses qualités et malgré quelques poncifs que pointait malicieusement sa satire Le Petit Faust, créé au Théâtre des Folies-Dramatiques en 1869 au moment où le chef-d’œuvre de Gounod connaissait la consécration suprême d’entrer au répertoire de l’Opéra de Paris. En revanche – et malgré un succès durable –, l’opéra-bouffe d’Hervé est presque oublié. Bien à tort, comme nous le souffle la fringante production des Frivolités Parisiennes au Déjazet, seule salle survivante du « Boulevard du Crime » et qui fut, précisément, le théâtre d’Hervé.
Si la partition ne possède pas l’entrain canaille des meilleures d’Offenbach, elle joue sur une autre corde plus proche du sourire complice que du rire sarcastique. Les quelques clins d’œil à Faust sont même assez déférents. Inattendue, l’émotion y trouve sa place dans l’Idylle des quatre saisons où, en quarante mesures, Méphisto dresse un état des lieux mélancolique des amours humaines. Il est vrai que ce Diable-là est chanté par une femme qui annonce d’emblée qu’au siècle où nous sommes, il n’est plus besoin de signer de pacte avec l’Enfer tant ça va de soi.
Avec une pareille maîtresse, le docteur Faust (premier ténor comique) est encore plus écolier que celui de Gounod. Quant à sa Marguerite – créée par Blanche d’Antigny répertoriée par la police pour les tarifs de ses faveurs intimes –, elle arbore une nature jouisseuse et cynique. Le compositeur les a bien servis : l’air de Faust désabusé (« Oh ! je suis un joyeux viveur »), la Chanson du roi de Thuné (sic) qui, ayant cassé sa bretelle, laissa voir « une semblable maladresse » (on attend, vu la rime, « paire de fesses »), l’air d’entrée de Méphisto, se gravent dans la mémoire.
Mais le personnage le plus haut en couleurs reste Valentin, avec ses couplets militaires, sa naïveté obtuse et, surtout, les lapalissades de son agonie tant la musique est à la hauteur des alexandrins : « Les amants, vois-tu bien, c’est comme les petits pois. Quand le premier paraît, tous viennent à la fois ». L’abattage et la projection d’Arnaud Marzorati font merveille dans cet emploi de Trial. Il vole un peu la vedette à Safir Behloul (Faust), qui se devrait d’être exceptionnel et laisse seulement apprécier ses qualités de chanteur et de comédien. Il est vrai aussi que Sandrine Buendia (Méphisto) passe la rampe avec un naturel plus exquis : à deux contre un, la partie est rude. Et Marguerite ? Céline Laly la pare d’une grâce exquisément coquine, mais au détriment souvent de l’articulation des paroles.
La mise en scène de Rémi Préhac, qui transpose l’action – sans la trahir – dans la mouvance incertaine de Mai 68, vise assez juste puisque le livret est, malgré les apparences, une charge contre la banalisation du libertinage. La direction d’acteurs ne craint pas les poncifs du genre bouffe et s’en joue. Les décors minimaux sont suffisants et les costumes seyants. Malgré la direction souple et entraînante de Julien Leroy, l’orchestre assez nombreux (22 musiciens) ne brille pas toujours par sa précision et devrait prendre garde encore davantage à ne pas couvrir les voix. On imagine que les répétitions ont été parcimonieuses, mais c’est plutôt l’habitude de la fosse qui manque à ces très jeunes artistes.
Avec ses quelques limites, cette production a le grand mérite de la cohérence, de l’engagement et de la fidélité, jusque dans les arrangements nécessaires compte tenu du nombre modeste des chanteurs et des choristes. On regrettera que Le Satrape et la Puce soient passés… à la trappe, en se réjouissant d’une résurrection qui en appelle d’autres.
G.C.