La production en 2004.
Cette Turandot, fruit de la collaboration entre Jean-Pierre Ponnelle et Sonja Frisell, spectacle pourtant déjà bien rodé, n’a rien perdu de son allure. A l’Opéra national finlandais, on s’en est donné à cœur joie avec cette mise en scène traditionnelle mais qui n’a néanmoins pas pris une ride. Les décors imposants avec, au centre, une tête dorée de princesse orientale, qui tournent simplement à l’acte deux pour révéler un autre espace scénique, fonctionnent à merveille. Dans ce cadre se meuvent les personnages tragiques et complexes du dernier opéra de Puccini.
Les interprètes principaux furent à la hauteur. Le timbre de la soprano suédoise AnnLouice Lögdlund est assez ample et percutant pour incarner la princesse intransigeante, tandis qu’elle sait varier les couleurs vocales pour révéler la vulnérabilité de Turandot. L’ancien chanteur de tango et choriste de l’Opéra national finlandais, le héros local Mika Pohjonen, remontait sur la scène de la grande salle pour reprendre le rôle de Calaf dans lequel il est exceptionnel tant du point de vue vocal que dramatique (bien que la scène où Turandot se trouve dans ses bras surprenne toujours par son manque de préambule dramatique). La jeune soprano finlandaise Reeta Haavisto incarne délicieusement la pauvre Liù, ses deux airs montrant la qualité de son timbre autant que la perfection de sa technique – une valeur sûre et pérenne à suivre. Le rôle du veillard Timur, trop souvent donné à une basse en fin de carrière ou, à l’opposé, à un chanteur trop jeune sans rondeur vocale, fut interprété par la basse noble de l’Estonien Koit Soasepp, membre de la troupe d’Helsinki et qui nous livre un Timur lyrique, ample et, qui plus est, montrant la fragilité de son personnage. Malheureusement, les interprètes des rôles essentiels au drame que sont les cyniques Ping, Pang et Pong ne furent pas de la même trempe et leur jeu scénique, doublé par d’exaspérants personnages de clowns-acrobates, ne fonctionnait pas dans cette reprise où les chanteurs ne semblaient pas comprendre le sens de leurs gestes, ou ne pas beaucoup s’en préoccuper (laisser au doigt une alliance très voyante montre, à notre sens, un manque de direction et d’engagement).
La salle de l’Opéra national finlandais, ouverte au milieu des années 1980, est ce qu’on attend de l’architecture nordique : simple et fonctionnelle. La scène elle-même est large et la fosse est complètement ouverte, sans tablier pour recouvrir les cuivres ; on peut imaginer ce que cela peut donner aux moments les plus dramatiques de Turdanot avec l’orchestration étoffée de Puccini – ici sous la direction d’Alberto Hold-Garrido. L’orgue, utilisé à ces climaxes, est loin d’être satisfaisant et ajoute au timbre de l’orchestre une couleur électronique et fausse. Le grand chœur, un peu mou au départ, finit en beauté et en force. Autre particularité de la soirée : le spectacle fut commenté pour les mal-entendants par deux interprètes habillées de noir sur le côté de la scène. A elles deux, elles ont réussi à communiquer non seulement l’histoire mais aussi des ambiances et même des détails musicaux et dramatiques. Intriguante leçon sur la perception artistique et sa traduction d’un média à un autre!
C.R.
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Photos : Suomen Kansallisooppera & Heikki Tuuli.