John Osborn (Hoffmann)
On venait, bien sûr, attiré par la performance de Patrizia Ciofi affrontant les quatre rôles féminins et par la réputation de l'Hoffmann de John Osborn. Et l'on n'a pas été déçu. Certes, la tessiture stratosphérique d'Olympia excède désormais quelque peu les moyens de la soprano mais, malgré un suraigu légèrement voilé, sa technique bien rôdée lui permet de dominer le rôle. Son Antonia laisse entendre quelques raucités dans le médium mais lui convient bien mieux et elle en dessine un portrait pathétique et poignant. Mais c'est en Giulietta, la courtisane cynique et âpre, que la Ciofi se révèle tout à fait. Son flair théâtral lui permet de créer quatre personnages aussi différents que captivants et de donner même à l'apparition épisodique de la Stella une authentique présence. L'Hoffmann de John Osborn est d'une vaillance à toute épreuve. S'il s'embrouille d'abord dans le texte de la Légende de Kleinsack, son incarnation gagne en assurance au fil des actes et, sans être toujours absolument idiomatique, son articulation d'une parfaite clarté, bien servie par un timbre brillant et des aigus faciles, séduit et s'impose. On peut certes attendre une voix plus lyrique pour le rôle mais, tel quel, le ténor britannique convainc. Pourtant les vraies révélations sont ailleurs. D'abord chez Laurent Alvaro incarnant les quatre avatars du « démon » avec une autorité impressionnante et un splendide timbre de baryton-basse que soutient une articulation française impeccable ; ensuite chez le Niklausse d'Angélique Noldus, à l'aigu facile et au chant ductile et sensuel. L'un comme l'autre bénéficient du choix d'une édition qui, mixant les apports de Michael Kaye et de Jean-Christophe Keck, donne à entendre de nombreuses variantes et offre un air supplémentaire à la mezzo et la version originale de l'air du Diamant au premier. Autour de ce quatuor de tête, tous les seconds rôles ne méritent que des éloges, à commencer par l'excellent Cyrille Dubois, particulièrement savoureux dans l'air de Frantz. Carl Ghazarossian s'affirme aussi bien en Nathanaël qu'en Spalanzani tandis que Christophe Gay prouve que l'on peut être aussi bon chanteur (Hermann) qu'excellent comédien (Schlemihl). En revanche, si la voix de Peter Sidhom peut encore suffire pour Maître Luther, elle paraît bien fatiguée en Crespel.
L'adaptation d'Agathe Mélinand sacrifie souvent la cohérence du propos à l'efficacité, notamment dans le tableau d'Olympia dont les dialogues sont bien trop écourtés pour la compréhension des enjeux du drame. Mais la version musicale extrêmement complète – pas loin de trois heures de musique – redonne à l'œuvre et, singulièrement, au tableau de Venise, une ampleur à la mesure des ambitions du compositeur. Alternant avec Kazushi Ono, Philippe Forget aborde cette partition dans un esprit de sérieux et en donne une lecture dramatique et charpentée qui ne sacrifie jamais la beauté et le fini instrumental, parfaitement en phase avec la production de Laurent Pelly, créée en 2003. Le metteur en scène choisit de transposer l'ouvrage à l'époque de sa création et en offre une vision uniformément noire – ou plutôt grise. Elle doit beaucoup au décor aussi fluide que monumental de Chantal Thomas qui semble souvent près d'écraser les individus et culmine dans un troisième acte où le fantastique s'invite dans l'univers blafard d'une cage d'escalier démesurée qui voisine avec la chambrette minuscule où son père retient prisonnière Antonia. Rarement sans doute Les Contes d'Hoffmann ont-ils été montrés sur un versant aussi sinistre – même l'acte d'Olympia ne suscite quelques rires isolés et s'achève dans une véritable scène d'hystérie collective. Seul, l'acte de Venise nous sort un bref moment de cette grisaille angoissante, par le jeux des éclairages. Même l'épilogue pacifié où s'élève le chant de la muse consolatrice semble signer la solitude irrémédiable du héros.
A.C.
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Patrizia Ciofi (Olympia). Photos : Jean-Pierre Maurin.