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Beaucoup d’étrangers à La Fenice, et singulièrement de Français, pour cette nouvelle production de L’Africaine de Meyerbeer, si peu prisée en France où elle n’a pas été montée depuis 2004 à Strasbourg et 1902 à l’Opéra de Paris. Le retour en grâce de Meyerbeer dans le pays qui l’a porté aux nues avant de le bannir de ses scènes passerait-il par Venise ?

Disons-le d’emblée, l’œuvre posthume du  maître du grand opéra à la française nous a semblé à la hauteur de sa (mauvaise) réputation. Un bien curieux mélange de platitudes et de superbes trouvailles, notamment orchestrales, comme l’ouverture et les préludes des troisième et quatrième actes. L’ensemble fait parfois l’effet d’un plat réchauffé où le compositeur aurait accommodé les restes de ses grandes réussites – particulièrement des Huguenots dont on reconnaît au passage la bénédiction des poignards, ou le grand duo de Valentine et Raoul dans celui de Vasco et Selika au IVe acte – avec certes des nouveautés et d’authentiques beautés : le grand septuor de l’acte II et tous les airs restés célèbres, de la berceuse de Sélika au fameux « Ô Paradis » de Vasco.

Le vrai problème avec cet opéra n’est pas tant la qualité de la musique que son éclectisme et son manque de cohérence dramaturgique. Le livret indigent et les vers triviaux de Scribe où se bousculent les coq-à-l’âne, les ruptures de ton et les velléités dramatiques inabouties, sont largement en cause mais la partition elle-même promet souvent plus qu’elle n’est capable de tenir. Le pire est atteint dans l’improbable troisième acte qui juxtapose en une demi-heure une grande prière des marins, un affrontement entre le ténor et son rival, une tempête et un abordage suivi d'un massacre. Le résultat semble répondre exactement à la terrible formule de Wagner qui voyait dans le grand opéra une série d'« effets sans cause ». Il faut dire, à la décharge de Meyerbeer, que l’œuvre ne fut pas finalisée par lui-même et que les nombreuses coupures de cette édition vénitienne renforcent encore la sensation de décousu, nous privant de moments magiques – comme le chœur de femmes de l’acte III – ou essentiels au propos, tel l’affrontement entre les deux héroïnes rivales de l’acte V.

Pour porter une telle œuvre, il faut des interprètes d’exception comme ceux pour lesquels elle fut conçue, ce qui n’est pas tout à fait le cas avec la seconde distribution de La Fenice (la première réunissait Veronica Simeoni, Jessica Pratt et Gregory Kunde et reste disponible en replay gratuitement sur Medici.tv pendant 114 jours à compter de sa première diffusion le 29 novembre). En Vasco, Antonello Palombi dispose certes d’une quinte aiguë d’une vaillance exceptionnelle et d’une splendide projection, mais son phrasé reste très sommaire et son français bien peu articulé. Patrizia Biccirè apporte au rôle-titre une réelle sensibilité, une musicalité irréprochable mais sa voix assez petite et limitée dans le grave ne lui permet pas d’imposer complètement son personnage hors du commun. Tout comme elle, Luca Grassi se révèle un musicien impeccable avec une articulation française d’une parfaite clarté mais on attendrait une voix plus corsée et plus large pour le personnage sombre de Nelusco. Dans le rôle d'Ines, Zuzanna Markova paraît un peu sacrifiée dans cette version où elle ne dispose que de son air d’entrée et d’un ensemble pour créer son personnage – ce à quoi elle parvient grâce à une authentique présence. D’excellents seconds rôles, peu idiomatiques pour la plupart, complètent ce plateau honnête mais jamais fulgurant. Il faut saluer la qualité des chœurs de La Fenice et plus encore l’orchestre dont Emmanuel Villaume tire des sonorités d’un très grand raffinement, faisant valoir ce que la partition a de meilleur : sa richesse d’orchestration.

Très réussie visuellement, la mise en scène de Leo Muscato joue la carte d'une stylisation de bon aloi qui sait suggérer le souvenir des productions d'époque dans une scénographie dépouillée ne donnant jamais une sensation de pauvreté, grâce aux belles lumières d’Alessandro Verazzi. Le grand air de Vasco chanté dans une pluie d'or est une belle trouvaille qui suggère bien l'idée de l'émerveillement. L'univers exotique dans lequel le metteur en scène  implante les deux derniers actes tient plus de l'Inde que de l'Afrique, mais il rejoint en cela la principale incohérence de l'opéra : son titre, que jamais rien dans le livret ne semble justifier. Les séquences filmiques en noir et blanc où, pendant les interludes orchestraux, glissent dans un fondu enchaîné d'une grande douceur, et comme en silence, des images contemporaines légèrement estompées d'esclavage, de colonialisme, de conquête, d'oppression et de violence, viennent rappeler qu'à travers cette œuvre, ses créateurs avaient, en leur temps, voulu faire œuvre militante.

A.C.


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Photos Michele Crosera