Terrible histoire : pour se venger de son frère, dont les fils doivent épouser ses filles, Danaüs ordonne à celles-ci de les tuer lors de la nuit de noces. Mais Hypermestre désobéit et son époux Lyncée, qui échappe ainsi au massacre, peut revenir châtier le père sanguinaire que l’on voit à la fin aux enfers, soumis, comme ses filles, aux plus horribles supplices. Le livret des Danaïdes avait échu à Gluck, mais il le confia à Salieri son élève, se faisant au début passer pour l’auteur de cette tragédie lyrique créée en 1784. Le succès ne se démentit pas et Salieri se vit ainsi commander Les Horaces puis Tarare, sur un poème de Beaumarchais.
On a tort de réduire Salieri à son Falstaff, souvent d’ailleurs à cause de Verdi. Son assimilation du style français lui assure une place entre Gluck et des précurseurs du grand opéra tels que Cherubini et Spontini. Un pathétique poussé au paroxysme, un art de l’instrumentation mis au service des effets pittoresques, ne pouvaient que séduire le jeune Berlioz arrivant à Paris en 1822 et découvrant, pour sa première sortie à l’Opéra, ces Danaïdes de Salieri. Presque deux siècles plus tard, nous restons encore frappés par la force de la musique, en particulier aux quatrième et cinquième acte, à travers la bacchanale des Danaïdes déchaînées ou la scène des enfers.
Marie-Antoinette avait soutenu l’opéra : sa reprise par l’Opéra de Versailles allait, en quelque sorte, de soi. Christophe Rousset, à qui la violence préromantique de Médée échappait un peu, aux Champs-Elysées, a davantage pris la mesure de celle des Danaïdes, alors que – ou parce que – l’œuvre est présentée en version de concert. La musique avance, les contrastes sont à vif, l’arc se tend, grâce aussi à un orchestre très investi, sans sécheresse excessive de couleurs, avec de très beaux solistes côté bois – bon chœur également, un rien trop vert parfois. La distribution se signale par son homogénéité et, surtout, son assimilation du style français. Chez Tassis Christoyannis, rien de surprenant si l’on a entendu Les Vêpres siciliennes à Genève ou Faust à Bastille. La cruauté sanguinaire de Danaüs ne nuit jamais à la noblesse altière du phrasé ou à la netteté la déclamation. Judith van Wanroij, en revanche, pas moins en situation stylistiquement, n’a pas la même homogénéité de tessiture : son soprano trop légèrement fruité manque de chair à partir du médium pour le rôle très dramatique d’Hypermestre, défaut compensé par la pertinence de la composition. L’excellente Katia Velletaz, pourtant beaucoup moins sollicitée en Plancippe, paraît plus modeste encore, surtout quand il faut affronter la bacchanale. Emission haute et aisée, timbre clair, un rien nasal dans l’aigu, Philippe Talbot chante un impeccable et sensible Lyncée, jamais mièvre dans l’épanchement. Et l’on se gardera d’oublier Thomas Dolié, qui réussit à donner aux quelques interventions de Pélagus un relief inattendu. Les Danaïdes méritaient bien cette résurrection.
D.V.M.