OEP351_1.jpgMariusz Kwiecien (Riccardo), Maria Agresta (Elvira) et Michele Pertusi (Sir Giorgio).

Produire Les Puritains est un double défi : il faut non seulement réunir un plateau vocal d’exception, mais aussi proposer une conception théâtrale de l’ouvrage suffisamment puissante pour en faire oublier les obscurités – voire absurdités – du livret. La nouvelle production de l’Opéra de Paris ne relève hélas pas le gant, d’autant que l’immensité de Bastille ne sied pas à Bellini : chercher le volume conduit les voix à perdre de vue la ligne, et les allées et venues d’un chœur surdimensionné soulignent d’autant les failles du texte...

Dans le redoutable rôle d’Arturo, créé par Rubini et aussi stratosphérique que vaillant, Dmitri Korchak assume une grande part de la tessiture (cependant pas toutes les contre-notes), mais toujours en force : foin de mezza voce, les nuances sont binaires (forte ou piano) et l’effort constant – ce qui devrait, dans l’idéal, être une vocalité fascinante devient une épreuve de fond, accrue par un timbre vert et constamment ouvert. Dans le non moins périlleux rôle d’Elvira, Maria Agresta remplit son contrat de la même manière : la solidité du matériau est certaine mais son émission partagée entre too much (beaucoup de sons trop hauts, des contre-notes arrachées) et fadeur (quelques rares piani) ; surtout, le chant trahit les rôles verdiens récemment accumulés et floute toutes les fioritures belcantistes sous un épais vibrato. Si l’on ajoute la contre-performance de Mariusz Kwiecien (Riccardo), qui use ici d’un style et d’un italien aussi indéfinis l’un que l’autre, seul reste le Giorgio de Michele Pertusi pour rendre justice au mythique « Quatuor des Puritains » avec, sinon flamboyance, du moins rigueur et honnêteté. Comprimari (Enrichetta et Gualtiero) corrects, Bruno impossible de timbre (mais le rôle est bref), et une direction qui peine à unifier tout cela : après une Ouverture qui faisait espérer une vie interne et une attention aux couleurs singulières de la partition, Michele Mariotti laisse ensuite se dérouler des dynamiques tranchées sans poésie, des problèmes de mise en place frôlant l’accident et des récits déclamés à l’ancienne.

Récits qui ne sont du reste pas les seuls à plonger la soirée dans le passé le plus désuet. Prise au second degré, la mise en scène de Laurent Pelly pourrait sembler une joyeuse parodie de l’opéra de grand-papa – tel qu’il n’a d’ailleurs pas existé partout ni de tout temps, n’en déplaise aux raccourcis faciles. Sauvons l’élégant décor de Chantal Thomas – un castel de métal ciselé, qui nous promettait une Elvira-oiseau blessé dans sa cage-prison –, que la mise en scène oublie de magnifier à force de le faire tourner puis disparaître au profit d’un plateau quasi nu. Mais enfin : mouvements sans motivation (on monte le plateau pour le redescendre, on le traverse de jardin à cour pour revenir sur ses pas…) ; « plantation » des chanteurs au centre de l’avant-scène et face au public pour l’intégralité de leur numéro ; direction d’acteurs où bras écartés, mains sur le cœur et genoux à terre forment le trio de tête des postures au catalogue (auxquelles il faut ajouter, pour une Elvira dirigée en virago hystérique : les poings sur les tempes) ; soldats marchant au pas comme seuls des hallebardiers d’opérette l’ont jamais fait… pire, une gestuelle souvent synchronisée sur la musique (il faut au moins un musical et des interprètes formés à l’américaine pour que ça passe, mais dans Puritani ?!…), et deux ou trois gags qu’on ne sait qualifier d’involontaires ou pas : on ouvre des yeux ronds en constatant que cela est encore possible (et accepté : les spectateurs sont, à la fin, plutôt chaleureux pour Laurent Pelly). Pourtant, c’est peu de dire que la soirée se passe, morne plaine, sans le début du commencement d’une émotion théâtrale. Et comme les émotions vocales n’y sont pas non plus… on sort de ces Puritains avec, à la bouche, un goût d’amère frustration.

C.C.

Lire aussi notre édition des Puritains récemment mise à jour : L’ASO n° 96


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Maria Agresta (Elvira, couchée), Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot), Mariusz Kwiecien (Riccardo, au fond) et Andreea Soare (Enrichetta di Francia). Photos : OnP / Andrea Messana.