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La Navarraise
: Philippe Do (Araquil) et Nora Sourouzian (Anita).

Depuis plus de soixante ans, le Wexford Festival Opera en Irlande nous offre une sélection d’opéras hors du répertoire standard, parfois réellement inédits, interprétés par de jeunes talents émergents. Cette année ne fit pas exception avec Il cappello di paglia di Firenze de Nino Rota, Cristina, regina di Svezia de Jacopo Foroni, et Thérèse et La Navarraise, deux opéras courts de Jules Massenet. Nous nous sommes rendus à la soirée Massenet, pour redécouvrir Thérèse et goûter de nouveau aux émotions fortes de La Navarraise, opéra vériste écrit dans le sillon du succès de Cavalleria rusticana de Mascagni.

Thérèse raconte l’histoire d’une femme sous la Terreur, aimée autrefois d’Armand de Clerval, mais mariée à son ami d’enfance (mais pas son égal social) André Thorel, un Girondin. Après la fuite de Clerval, les époux Thorel ont acheté le château familial avec l’intention de le rendre à son noble propriétaire. Armand revient et réitère ses affections pour Thérèse mais il est repoussé ; néanmoins le couple Thorel décide de cacher Armand aux révolutionnaires. Six mois plus tard, après l’exécution de Louis XVI et avec une dégradation de la Terreur, André procure un sauf-conduit pour faire partir Armand loin de France. Ce dernier convainc Thérèse de partir avec lui, mais André est arrêté et part à l’échafaud. Par fidélité envers un mari mal-aimé, Thérèse crie « Vive le roi ! » devant la foule enragée, qui l’emmène alors, elle aussi, à sa mort.

La production mettait ces personnages en scène dans un atelier moderne de restauration de tableaux, peuplé de restaurateurs et techniciens en tenue de laboratoire, complètement accessoires par rapport au drame – d’ailleurs, souvent ces figurants jouaient « au ralenti » pour marquer une distance temporelle et conceptuelle prise face à l’histoire de l’opéra. Le château des Clerval n’apparaît alors qu’en peinture, tandis que des portraits de Danton, de Robespierre et d’autres figures révolutionnaires apparaissent par intermittence sur des pans de décors mobiles. D’ailleurs, c’est la peinture qui relie les décors et les mises en scènes des deux opéras, La Navarraise empruntant son Guernica à Picasso, ici décomposé en divers éléments de scénographie. Mais sans plus d’explications de l’équipe créative, les Québécois André Barbe (décorateur) et Renaud Doucet (metteur en scène), sauf une brève page dans le programme du festival, nous comprenons peu es motivations de ce choix, et moins encore sa valeur symbolique et sa mise en action sur une scène dramatique.

Mettant en scène un drame intime sur fond de troisième guerre Carliste (1872-1876) en Espagne, la production de La Navarraise est transportée vers une autre guerre civile, celle de 1936 : sur le rideau baissé au début de l’opéra sont projetées des unes de journaux de l’époque et leurs gros titres ; sur scène, le chaos de la guerre est rendu par les diverses composantes littéralement déchiquetées du tableau de Picasso, et les femmes qui veillent (ou rôdent) autour des soldats endormis pendant le Nocturne se revêtent de couvertures de campagne sur lesquelles Picasso lui même (avec maillot rayé) vient de peindre les lettres du fameux slogan « No Pasarán ». Mais la musique de l’opéra a à peine le temps de déveloper ce côté pittoresque (sauf peut-être pendant la jota chantée par Anita la Navarraise) : le drame vériste d’une femme qui assassine le chef des rebelles carlistes Zuccaraga afin de gagner la dot qui lui permettra d’épouser son amant soldat récemment promu lieutenant, est haletant d’un bout à l’autre de la pièce.

La direction a choisi une seule distribution pour les deux pièces, bien que les rôles de Thérèse et d’Anita ont été créés par des voix très différentes (Lucy Arbell et Emma Calvé). Ici, la jeune mezzo québécoise Nora Sourouzian se sort mieux de Thérèse que du rôle difficile (vocalement et dramatiquement) d’Anita. Touchante et même puissante en Thérèse, surtout dans les scènes avec son mari André, Sourouzian peine dans la tessiture d’Anita où une bien meilleure direction d’acteur aurait été nécessaire pour donner des contrastes au personnage tantôt aimant, tantôt anxieux et, pour finir, hystérique. Les rôles de ténor (Armand et Araquil) sont interprétés par le Français Philippe Do. Malheureusement, cette jeune voix héroïque manque cruellement de finesse musicale et vocale, et souvent le phrasé, le sens musical même de ces partitions sont ignorés ou écrasés. Plus de préparation et de direction musicale – le jeune chef hispano-vénézuélien Carlos Izcaray ne comprenant pas toujours les subtilités des mouvements musicaux de Massenet – auraient pu palier ces défaillances. Le baryton irlando-américain Brian Mulligan, quant à lui, est remarquable dans son élégante et belle interprétation d’André Thorel où il peut déployer ses talents et la suavité de son timbre, plus largement que dans le rôle de Garrido de La Navarraise. Pour tous, un répétiteur de français aurait été bénéfique pour donner une harmonisation à la prononciation.

Malgré ces réserves, les spectacles n’ont pas manqué de tenue, l’ensemble des voix, de l’orchestre et de la mise en scène opérant sa magie et son charme le soir du spectacle. La récente et belle salle  de Wexford, inaugurée en 2008, offre une acoustique très enveloppante, même si l’on aurait souhaité un peu plus de retenue de la part de l’orchestre pour laisser place aux chanteurs qui poussaient souvent leur voix à leur limite, tandis que, de la salle, on pouvait se sentir écrasé par un torrent sonore aux moments les plus dramatiques, notamment pendant La Navarraise. Par ailleurs, dans une partition chargée de rapides contrastes musicaux et dramatiques comme La Navarraise, il faut profiter des moments de « repos » pour recentrer l’action dramatique et la tension musicale avant la prochaine avalanche d’émotion. En revanche, les contrastes musicaux de Thérèse, avec ses moments de couleur historique – son poétique et nostalgique Menuet de cour (où l’atelier/laboratoire fut transformé, par un bel effet de projection au plafond, en Galerie des glaces du Château de Versailles) –, furent mieux traduits, nous laissant l’impression d’un Massenet vieillissant mais en plein possession de ses capacités créatrices et nous offrant un petit chef-d’œuvre.

C.R.

Lire aussi notre édition de La Navarraise : L’ASO n° 217


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Thérèse
: Nora Sourouzian (Thérèse) et Philippe Do (Armand). Photos Clive Barda.