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Petra Lang (Brünnhilde), Tom Fox (Wotan) et les Walkyries.

Du théâtre en musique

Pas de concession à la mode dans La Walkyrie de Dieter Dorn : ni lecture historique ni vision postmoderne. Retour à l’atemporalité du mythe, finalement – même si, distanciation oblige, les Walkyries ont des airs de rockeuses, si elles traînent sur leur rocher des mannequins de latex, si Grane, le coursier de Brünnhilde, est une marionnette actionnée par des figurants… Dans un décor sombre de Jürgen Rose, qui ressemble, au deuxième acte, à La Mer de glaces de Friedrich, se joue avant tout un drame passionnel. C’est là où la production, qu’on pourra juger peu inventive, nous touche, tant le metteur en scène se révèle – ou plutôt se confirme, après tant d’années – homme de théâtre à l’infaillible métier, à travers une direction d’acteurs d’une précision, d’une justesse exemplaires. Rarement chanteurs jouent aussi bien : chaque geste, chaque regard épouse la musique, surtout quand se taisent les voix, définissant moins des archétypes que des figures très humaines, de chair et de sang. Et il y a de très pertinentes idées : Wotan, au début, met en place l’échiquier dont il perdra vite la maîtrise ; les Nornes poussent – ou cherchent à retenir - une sphère de paille, métaphore du monde ; pendant le récit du dieu, des miroirs l’enferment et le renvoient à lui-même.

A cette lisibilité du propos répond celle de la lecture d’Ingo Metzmacher qui, pour le coup, marque les esprits. Cette direction limpide, souple, chambriste, aux tempos allants, que l’Orchestre de la Suisse romande peine parfois à suivre, garde une grande intensité et ne connaît pas de baisses de tension. Dès l’orage initial se dévoilent des détails souvent peu soulignés : le chef allemand nous donne à entendre des éléments nouveaux dans un Ring pourtant si familier à nos oreilles. Ce refus de la grandeur héroïque, partagé avec le metteur en scène, s’imposait d’ailleurs de lui-même face à des voix assez légères ou très exposées. Le croira-t-on ? Les plus impressionnants sont le Hunding brute carnassière, d’une perversité sadique, de Günther Groissböck, la Fricka terrible d’Elena Zhidkova, dont tous les registres se projettent comme rarement, avec des acidités bien assorties au personnage. Les jumeaux sont plutôt une Elsa et un Lohengrin : le timbre liquide de Michaela Kaune, que le troisième acte met à l’épreuve, la voix claire et pas assez centrale de Will Hartmann, éprouvé par la fin du premier, les destine à incarner des silhouettes à l’humanité fragile. Si Tom Fox, appelé à la rescousse pour L’Or du Rhin, campe ici un Wotan scéniquement abouti, sa présence ne peut compenser une voix aux extrêmes écrêtés et une instabilité permanente de la ligne. Que deviendra, enfin, Petra Lang, dont la transformation en soprano semble plus problématique aujourd’hui que dans Le Crépuscule des dieux à Bastille ? Sa Walkyrie ne manque ni de vaillance ni de finesse, mais les cris de guerre sont dangereusement tendus, l’Annonce de la mort trahit une certaine distorsion des registres – alors même que, focalisée sur le médium, elle devrait flatter l’ancien mezzo.

D.V.M.

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Michaela Kaune (Sieglinde) et Will Hartmann (Siegmund). Photos GTG / Carole Parodi.