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Photo Christian Dresse.

Berlioz, semble-t-il, apprécia particulièrement cette Straniera, opéra de 1829 où, après le succès du Pirate, Bellini voulut explorer de nouvelles voies dramatiques, faisant du chœur un personnage à part entière et donnant à l'orchestre une fonction narrative plus importante, à travers de beaux préludes à l'orchestration élaborée et des solos instrumentaux de toute beauté. Certains numéros – comme cette scène de l'acte I où le compositeur superpose au chœur masculin un monologue du ténor, ou le grand air du baryton à l'acte II, inséré dans une véritable scène d'ensemble – sont d'une grande originalité dans le langage du compositeur. Nous sommes parfois très proches du Donizetti des années 1830, notamment dans les deux grandes scènes de désespoir de l'héroïne qui se répondent à la fin de chaque acte, même si de superbes cantilènes viennent nous rappeler la marque de fabrique de Bellini. Un très beau quatuor, plutôt rare chez lui, constitue un des grands moments musicaux de l'acte II. Le problème avec cet opéra reste son improbable livret. Il faut attendre la première moitié de l'acte I pour qu'émergent enfin des situations un peu convaincantes, et ce n'est finalement qu'au deuxième que la partition réussit à faire oublier le caractère artificiel de l'intrigue et à en intégrer les éléments un peu disparates. Cette histoire de reine bannie et de ses amours impossibles avec un jeune aristocrate tourmenté – bien qu'en partie historique – paraît à nos sensibilités contemporaines d'un Romantisme exacerbé et demanderait le talent d'un metteur en scène pour lui redonner un semblant de crédibilité et de substance dramatique.

A la tête des chœurs et de l'orchestre de l'Opéra de Marseille en très grande forme, Paolo Arrivabeni dirige avec efficacité cette partition un peu inaboutie qui tient beaucoup sur la force de conviction de ses interprètes. Patrizia Ciofi retrouvait pour cette version de concert un personnage dont le caractère excessif quasi suicidaire lui va comme un gant et dans lequel elle s'est déjà illustrée au disque au 2008. Il ne lui manque rien pour maîtriser un rôle terriblement exigeant pensé pour Henriette Méric-Lalande, la créatrice d'Imogene du Pirate. La subtilité du phrasé, la beauté des sons filés, la virtuosité et l'engagement sans réserve de l'interprète ne peuvent toutefois masquer que cette tessiture de soprano dramatique d'agilité reste un peu large pour sa voix essentiellement lyrique et la fatigue finit par voiler son timbre dans la grande scène finale. Après une première scène un peu timide, Ludovic Tézier s'affirme dans toute la splendeur de son instrument et de sa musicalité dans sa grande scène de l'acte II. Dans le rôle épisodique d'Isoletta, Karine Deshayes fait valoir l'adéquation de sa voix de mezzo léger avec le bel canto, dans son grand air avec chœur de l'acte II. Seul Jean-Pierre Furlan reste nettement en deçà du niveau de cet excellent trio. La voix est handicapée par un vibrato constant qui nuit à la clarté du chant et, si le ténor possède encore suffisamment de vaillance dans l'aigu pour s'imposer dans les ensembles, les récitatifs orchestrés laissent entendre les limites d'un phrasé laborieux. La splendide basse de Nicolas Coujal paraît un peu sacrifiée dans le double rôle de Montolino et du Prieur tandis que Marc Larcher sonne encore un peu vert dans le rôle d'Osburgo. Le public marseillais, toujours grand amateur de performances vocales, fait un triomphe sans réserve et mérité à ce valeureux plateau.

A.C.

Concert du 31 octobre retransmis par France Musique le 9 novembre.