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David Bizic (Guglielmo), Stéphanie d'Oustrac (Dorabella), Bernarda Bobro (Despina), Lorenzo Regazzo (Don Alfonso), Myrto Papatanasiu (Fiordiligi) et Dmitry Korchak (Ferrando).

Nous avons beau nous y attendre, impossible de réprimer le frisson d’émerveillement qui nous étreint à chaque lever de rideau sur les différentes scènes du Così fan tutte mis en scène par Ezio Toffolutti en 1996 au Palais Garnier. Pourtant, au-delà de sa réussite esthétique certaine, la production semble souvent se limiter à une construction de belles images, au détriment d’une réelle tension dramatique.

En bon scénographe et costumier, Ezio Toffolutti situe l’opéra de Mozart dans une Venise à la splendeur mélancolique et nous évoque ainsi le souvenir élégiaque d’une Italie du temps de Mozart. La scène en général assez vide et la noblesse délabrée des grands intérieurs contribuent à renforcer cette impression de nostalgie – finement contrebalancée par le beau travail d’André Diot sur les lumières qui colorent le plateau d’une chaleur méditerranéenne. La mise en scène se distingue donc par une belle cohérence esthétique, à laquelle contribuent les charmantes variations sur le genre de la commedia dell’arte (les brefs passages comiques des deux zannis ; le jeu des portes pendant la séduction de Fiordiligi par Ferrando) : décidément, nous sommes en Italie jusqu’au bout. En revanche, pour séduisante qu’elle soit, cette approche très plastique laisse peu s’exprimer la magie théâtrale d’une œuvre qui, malgré un livret souvent décrié, présente une vraie profondeur dramatique. Nous avons alors l’impression de rester en surface, avec des personnages peu caractérisés, réduits à leur plus simple expression. Peut-être est-ce le soin apporté à la vision d’ensemble au détriment du détail qui nous fait ressentir le manque d’épaisseur des personnages, l’artificiel de leurs interactions – comme un tableau regardé de l’extérieur, à distance ? Le finale de l’opéra semble emblématique de ce décalage entre une construction visuelle très soignée et le manque de tension théâtrale : la froide clarté lunaire éclaire en fond de scène les deux femmes penchées vers l’extérieur par l’embrasure de la porte d’entrée ; dos au public sous la chaude lumière du plafonnier, les deux hommes semblent les observer pensivement depuis l’avant-scène. La composition est belle, mais elle paraît bien loin de l’enjeu dramatique d’un dénouement dont on a souvent souligné la cruauté…

Pour cette cinquième reprise de la production, l’Opéra national de Paris réunit une équipe de jeunes chanteurs dont le physique correspond agréablement à leurs rôles respectifs. Il est regrettable que cette homogénéité scénique ne se répercute pas toujours sur le plan vocal : ainsi les nombreux ensembles de la partition révèlent par moment un manque de cohésion et un déséquilibre entre les voix. Heureusement, les prestations individuelles sont en général plus convaincantes, à commencer par la Fiordiligi de Myrtò Papatanasiu dont la voix délicate présente un timbre limpide et une belle amplitude, servis par un chant élégant – mais dont on regrette parfois le manque d’intensité et une certaine raideur dans les intervalles (notamment lors du périlleux « Come scoglio »). En Dorabella, Stéphanie d’Oustrac honore sa prise de rôle d’une intense présence vocale et scénique. Si la voix séduit par la variété des couleurs et le velouté des inflexions, nous souhaiterions cependant plus de légèreté et de souplesse dans la ligne. Malgré un timbre plutôt séduisant, nous n’avons pas été convaincu par le Ferrando très sonore et sans finesse de Dmitry Korchak. Dans la continuité de son excellent Figaro genevois entendu en septembre, David Bizic confirme sa belle maîtrise du chant mozartien en incarnant un Guglielmo fin et habité – avec pour seule réserve un léger effacement chez ce personnage que l’on souhaiterait un peu plus canaille, notamment par des accents plus gouailleurs. Si la Despina de Bernarda Bobro possède une petite voix, à laquelle on peut reprocher le manque de relief et de couleurs (son Médecin et son Notaire ressortent peu), nous apprécions cependant toujours sa légèreté et la précision de son placement. Enfin, Lorenzo Regazzo campe un Alfonso d’une forte présence scénique et à la belle tenue vocale, malgré une insuffisance de graves et une émission un peu trop en retrait.

Dans la fosse du Palais Garnier, l’orchestre de l’Opéra national de Paris ne manque pas de finesse ni de légèreté, sous la main sûre et rigoureuse de Michael Schonwandt – que l’on sent particulièrement attentif à la différenciation des timbres (le suave dialogue des vents avant la sérénade au jardin). Cependant, malgré cette attention portée aux différents registres, la direction peut sembler parfois un peu trop lisse (tempos ralentis, manque d’intensité et de contrastes) dans un mouvement orchestral que l’on souhaiterait en général plus tendu.

C’est donc une Ecole des amants bien sage que nous propose l’Opéra national de Paris en reprenant la production d’Ezio Toffolutti : si elle ne manque pas de saveur, cette vision unie et soignée aura laissé sur leur faim les spectateurs sensibles à la profondeur dramatique des grands opéras de Mozart et Da Ponte, où l’intrigue légère et virevoltante repose toujours sur l’agitation de sentiments forts et sincères.

T.S.

Lire aussi notre édition de Così fan tutte : L’ASO n° 135-136


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Dmitry Korchak (Ferrando), David Bizic (Guglielmo), Bernarda Bobro (Despina), Lorenzo Regazzo (Don Alfonso), Myrto Papatanasiu (Fiordiligi) et Stéphanie d'Oustrac (Dorabella). Photos : Opéra national de Paris/ Ch. Pelé.