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Frédéric Antoun (Renaud), figurants.


La programmation de l’Opéra d’Amsterdam a le mérite de proposer cette saison un opéra français de nos jours peu représenté : cette autre Armide, qui reprend en 1777 le livret écrit par Philippe Quinault pour Jean-Baptiste Lully en 1686. Eclipsée peut-être par son illustre précédent lullyste ou par les autres chefs-d’œuvre de Christoph Willibald Gluck, l’œuvre n’en possède pas moins un attrait et une singularité qui ne sont en rien atténués par les nombreux emprunts du compositeur à ses œuvres précédentes. Au majestueux hiératisme antique d’Alceste, dont nous avons tout récemment savouré les charmes au Palais Garnier, succède un drame plutôt intimiste, où la galanterie pastorale n’amoindrit jamais l’essentiel – à savoir les douleurs sincères d’un amour non partagé. En effet, le livret de Quinault s’articule autour de l’héroïne éponyme, laquelle tient bien plus de la souveraine éplorée que de la Circé malfaisante. Gluck valorisera intelligemment ce pivot, non seulement par les pages musicales très intenses qu’il consacre au rôle, mais aussi en n’hésitant pas à suppléer au livret original lors de moments cruciaux (ainsi l’ajout d’une déploration angoissée d’Armide, qui clôt très habilement l’acte III).

Malheureusement, malgré ses promesses, la production amstellodamoise déçoit et suscite un sentiment d’insatisfaction. Passons rapidement sur la mise en scène de Barrie Kosky : quelques réussites esthétiques (les effets d’eau et de végétation suggérant l’Arcadie en arrière-plan), certaines images fortes (Armide accouchant littéralement de la Haine à l’acte III ; la pendaison du double de la sorcière en fond de scène, préfigurant l’issue fatale du rejet de Renaud), ne réussissent pas à sauver une proposition scénique qui ne brille ni par la séduction subversive d’une réinterprétation, ni par la rigueur que l’on attendrait d’une lecture littérale. Les plus grosses carences semblent surtout résider dans une direction d’acteur maladroite et appuyée, gênante non seulement sur le plan visuel (ces chœurs épileptiques !), mais surtout – ce qui est plus grave encore – sur le plan sonore (le cliquetis de l’attirail très « péplum » des chevaliers ; les éclaboussures des nymphes qui jouent sur le plan d’eau).

Vocalement, il nous faut reconnaître que le vaste espace du Muziektheater d’Amsterdam n’est pas forcément idéal pour mettre en valeur les charmes de l’opéra gluckiste. Si l’indulgence s’impose donc pour la présence vocale quelque peu en retrait de Karina Gauvin en Armide, des réserves persistent pourtant sur cette voix étroite, au registre quelque peu limité et dont le timbre tranchant, que l’on souhaiterait plus velouté, peine à restituer tous les chromatismes et aspérités de la partition (insuffisances sensibles dans les grands récitatifs des actes II et III). Restent néanmoins la souplesse de la ligne et de belles envolées aux aigus soignés, pour quelques instants de grâce (comme la tendre mélancolie de l’air en ouverture de l’acte III). Le Renaud de Frédéric Antoun se signale d’emblée par une solide présence vocale, peut-être parfois un peu trop appuyée ; malgré un timbre nasal et un chant souvent trop uniforme, la ligne n’est pas dépourvue d’élégance (l’air « Allez, éloignez-vous de moi » de l’acte V), voire d’une certaine intensité (le fortissimo sur le « destin » de sa dernière réplique). En revanche, nous n’avons pas été convaincu par l’Hidraot très sonore et chevrotant d’Andrew Foster-Williams. Toujours du côté des chevaliers, l’Ubalde/Aronte de Henk Neven présente un timbre séduisant, mais son émission engorgée révèle une certaines raideurs. Sébastien Droy en Artémidore/Chevalier danois est quant à lui le seul de la distribution à présenter une diction impeccable, servie par des inflexions caressantes – malgré quelques manques de précision dans les ensembles. Si la mezzo-soprano Diana Montague incarne une Haine pugnace et habitée, nous regrettons cependant une déficience de graves dans une tessiture qui ne semble pas correspondre au contralto normalement prévu pour le rôle. Le timbre soyeux et les aigus cristallins d’Ana Quintans nous séduisent dans ses interprétations de Naïade, Bergère ou Mélisse ; en revanche, sa Sidonie, tout comme la Phénice de Karin Strobos, nous semblent vocalement mises en difficulté par les tempos rapides du chef et la frénésie d’interactions voulues par la mise en scène. Enfin, le chœur du Nederlandse Opera dirigé par Nicholas Jenkins réussit une belle performance : maintenu dans une agitation convulsive presque constante par la mise en scène, l’ensemble ne perd jamais sa belle cohésion, sensible dans la précision de ses attaques et son dosage des nuances.

A la tête du Nederlands Kamerorkest, Ivor Bolton réussit à nous faire oublier l’absence des instruments anciens et confirme tout le bien que nous pensions de lui après son Rinaldo zurichois de la saison dernière : l’énergie du geste ne sacrifie jamais à la légèreté, au soin du détail, ni à l’équilibre entre les registres, pour une lecture inspirée et rigoureuse qui témoigne d’une connaissance solide du répertoire. Par contraste, ces belles qualités rendent d’autant plus regrettables les coupes inhabituelles effectuées dans une partition pourtant assez fluide, qui nous privent de passages instrumentaux délicieux (la gavotte, le menuet, la musette…) – voire de scènes entières (les scènes 2 et 3 de l’acte IV).

Entravés par une mise en scène brouillonne et une distribution inégale, les charmes de l’Armide amstellodamoise n’ont donc pas suffi à nous ensorceler ; peut-être pourrait-on espérer voir dans un proche avenir l’une des grandes maisons francophones relever les défis gluckistes de l’enchanteresse éconduite ?

T.S.


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Karina Gauvin (Armide), Andrew Foster-Williams (Hidraot). Photos : Monika Rittershaus.