CD Alpha 951. Distr. Outhere.
Insouciante jeunesse ! Il ne faut pas manquer d'audace, quand on est un jeune ensemble (né en 2006), pour s'attaquer à cette œuvre maudite, mal reçue du vivant de Rameau, rarement réussie depuis. Lors de la création, en 1739, le livret fourre-tout de La Bruère parut si ridicule que compositeur et poète se résolurent à réécrire leurs trois derniers actes. C'est cette révision de 1744 qui a été heureusement choisie ici. Non qu'elle soit meilleure - dans tous les cas, Dardanus reste un chef-d'œuvre musical, d'une générosité et d'une inspiration constantes, plus amusant dans sa mouture originale (où batifolent un monstre marin et un enchanteur trio de Songes), plus uniment tragique dans sa version révisée (où paraît le bouleversant air du héros emprisonné, "Lieux funestes") - mais elle était inédite au disque, Minkowski ayant opté pour la version 1739 - où il insérait cependant "Lieux funestes" (Erato, 1998) ! Regrettons que Pichon ne soit pas allé au bout de son exhumation, puisqu'il pratique d'assez nombreuses coupures (dans les danses). Premier volume d'une collection "Alpha-Château de Versailles", son enregistrement sur le vif s'écoute avec un plaisir constant, dû à la variété de la partition (ce Prologue ! ce magique acte II ! ces chœurs !), à l'animation de la direction, sensible à la plastique des mélodies comme à la fluidité des transitions, et à la juvénile ardeur des interprètes. Pour autant, le caractère sombrement pré-romantique de cette troisième tragédie lyrique de Rameau (se déroulant successivement dans une nécropole, une grotte et une prison !) ne se fait guère sentir ici. La baguette de Pichon s'illustre davantage dans le vif et l'aimable que dans le dur et l'amer (l'Ouverture, le terrifiant serment de l'acte I) et, à l'instar de la ravissante Sabine Devieilhe, distribuée dans le rôle trop central de Vénus, l'équipe vocale affiche une certaine inadéquation. Bernard Richter, par exemple, qui nous avait tant séduit en Atys (DVD FraMusica, 2011), apparaît certes crédible en preux paladin, avec ses aigus et son émission fermes, mais son chant reste bien raide, bien univoque, bien plat même, dans le bel canto ramiste (comme son ariette de l'acte IV nous fait regretter le trop critiqué Georges Gautier, choisi par Leppard en 1980 !). Benoît Arnould campe un Anténor falot, Alain Buet un Teucer grasseyant et seuls l'imposant Joao Fernandes (dans le rôle très développé, ici, d'un ambigu magicien) et la sensible Gaëlle Arquez réussissent à faire vivre leurs personnages. Et si les seconds rôles sont excellents (superbe Phrygienne d'Emmanuelle Negri), le chœur se dépatouille encore mal d'une écriture si complexe qu'elle s'accomoderait fort bien du studio...
O.R.