Comment jeter un regard frais sur Madame Butterfly, qui verse trop souvent dans l’imagerie traditionnelle et quelque peu mièvre d’un Japon figé dans le temps et dont l’intrigue laisse bien peu de marge de manœuvre au metteur en scène ? C’est le défi que l’homme de théâtre Jacques Leblanc s’est lancé pour cette nouvelle production de l’Opéra de Québec qui s’avère très réussie sur le plan scénique et dont la principale originalité est de situer la maison de Cio-Cio-San sur une toute petite île bâtie sur pilotis. Ainsi se trouve symbolisé l’isolement de l’héroïne, qui s’est par amour volontairement coupée du reste de la société. Chaque entrée ou sortie des personnages se fait par la voie de l’eau sur des radeaux aux dimensions variées, que ce soit l’arrivée de Butterfly au moment de la noce, celle du bonze, du prince Yamadori ou même du petit Dolore au deuxième acte. Confinée pendant trois ans dans les limites d’un espace extrêmement restreint, Butterfly choisit, au moment de faire hara-kiri, d’abandonner finalement son île et de partir à la dérive, peut-être afin de mieux se rapprocher du continent qui lui a ravi l’amour de sa vie. Le tableau final est saisissant : alors que le rouge inonde tout l’espace, la jeune femme s’écroule sur son minuscule radeau à l’avant-scène, loin de Pinkerton, qui apparaît à la toute dernière minute sur la lointaine passerelle ayant plus tôt accueilli le chœur. Dans cette lecture à la fois originale et très fine, le metteur en scène a été brillamment secondé par la scénographe Marie-Renée Bourget Harvey et l’éclairagiste Serge Gingras.
Spécialiste de Cio-Cio-San qu’elle a chantée dans de nombreuses maisons d’opéra aux États-Unis et en Europe, la soprano coréenne Yunah Lee aborde avec intelligence un rôle qui la pousse à la limite de ses moyens, mais dont elle sait néanmoins traduire toute la complexité. Si la diction manque un peu de mordant et qu’elle a parfois tendance à faire un crescendo là où il faudrait attaquer en force, son chant demeure toujours suprêmement racé. Le Pinkerton d’Antoine Bélanger, doté d’une jolie voix mais beaucoup trop légère pour le rôle, peine à se faire entendre, même dans les passages doux de l’orchestre. Le style n’est pas ici en cause : il faut tout simplement une voix plus éclatante, plus puissante, voire solaire, pour rendre justice à l’écriture de Puccini. On aimerait aussi que le ténor bouge avec plus de naturel pour faire croire au désir amoureux de son personnage, ou à ses remords tardifs. En Suzuki, Isabelle Henriquez, cheveux très courts et costume d'une simplicité paysanne, offre un frappant contraste avec sa maîtresse. Sa belle voix grave sert à merveille la partition, quoique l’on puisse regretter une certaine retenue dans les deux derniers actes. Peter McGillivray campe un Sharpless impeccable sur les plans vocal et scénique, tout comme Patrick Mallette en prince Yamadori. Destiné en raison de sa voix aux rôles de composition, le ténor Aaron Ferguson révèle de réels talents de comédien en Goro.
Dans la fosse, Giuseppe Pietraroia galvanise un Orchestre symphonique de Québec en grande forme ; dès les premières mesures, très dynamiques et toutes en nervosité, on sent le travail que le chef a accompli avec les musiciens qu’il mène avec un métier très sûr. Avec Jacques Leblanc et Yunah Lee, il concourt à faire de cette soirée un beau moment d’émotion et de redécouverte d’une œuvre qui arrive encore à nous étonner.
L.B.
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Yunah Lee (Cio-Cio-San) et Antoine Bélanger (Pinkerton).
Photos Louise Leblanc.