Jean-François Borras (Cinna), Andrew Richards (Licinius) et Ermonela Jaho (Julia).
Œuvre rare, La Vestale est au programme du Théâtre des Champs-Elysées qui poursuit ainsi son exploration-résurrection du grand opéra français (La Favorite de Donizetti en février dernier), cette fois avec un représentant de sa première génération : Gaspare Spontini. Lequel a su écouter Gluck – dramatisme des récitatifs-ariosos et écriture chorale à l’appui –, avec un incroyable sens de la liberté qui s’exprime tout au long d’une partition riche de troubles harmoniques, sonorités étranges et motifs incongrus, climats versatiles enchaînant le marmoréen à la candeur, symétries évitées, articulations fondues. On sent déjà ce que Berlioz aura retenu de cette écriture orchestrale fantasque et de ce langage original.
Jérémie Rhorer sait en stimuler et unifier tous les gestes musicaux – solos de bois nets et ensembles de cuivres chambristes, vivacité des cordes à fleur de peau. Le Cercle de l’Harmonie manque toutefois d’une ampleur de ton et de son qui siérait mieux au drapé antique du sujet et aux séquences les plus monumentales de la partition. De même le chœur Aedes est-il suprêmement raffiné, mais très clair là où on voudrait parfois plus de rondeur et de générosité dans le chant. C’est néanmoins un Spontini de belle eau qui se donne à entendre, d’autant que le travail sur la langue et la diction est remarquable – bravo aux chefs de chant et à la répétitrice de français de la production. A l’exception du Pontife de Konstantin Gorny – voix abyssale mais prononciation très slave – et de Béatrice Uria-Monzon – intense présence en scène mais timbre engorgé et texte mangé –, tout le plateau vocal se fait comprendre quasiment sans recours aux sous-titres. Andrew Richards fait ici oublier l’accent qui entachait son Don José à l’Opéra-Comique en 2009 : malgré un reste d’exotisme, son chant stylé et nuancé impose un Licinius complexe et torturé. En Cinna, Jean-François Borras représente l’acmé du chant français (ses voyelles nasales sont une leçon !), en des interventions toujours sagaces. Julia, enfin, rôle vocal redoutable – tessiture longue, dramatisme endurant, mais aussi allégements sur le fil… –, est intelligemment servie par Ermonela Jaho. L’Albanaise n’a peut-être pas le timbre torrentiel que de grandes devancières ont pu offrir à la Vestale ; mais ses moyens sont suffisamment amples et variés pour habiter de bout en bout le personnage et son chant – medium riche, extrêmes aisés, maîtrise de la dynamique et des couleurs comme de la densité du timbre. Son jeu vivace, sa déclamation habitée, l’économie subtile avec laquelle elle gère les lourdeurs « inutiles » de telle ou telle cadence en boucle… achèvent de dessiner une Vestale de beau rang, et de révéler une artiste aux choix finement pensés.
Sobre et soignée, la mise en scène d’Eric Lacascade joue la carte d’une intemporalité modernisée. On admire la fluidité de maints mouvements scéniques, où les changements de tableaux ou situations s’opèrent sans qu’on y prenne garde tant le regard est capté par de judicieux contrechamps, comme la gestion individualisée du jeu choral. On aime les idées vif-argent qui parsèment le propos, suivant en cela l’esprit de la partition – une joyeuse poursuite cartoonesque accompagne ainsi l’épilogue orchestral post-lieto fine. Pourtant, quelques détails tombent à plat, ici une gestuelle appuyée hors contexte, là une chorégraphie prêtant à sourire à un moment pourtant dramatique… Honnête plus que flamboyante, la production n’impose pas d’image forte ou de théâtre puissant – quand l’ouvrage s’y prêterait tant. Un agréable équilibre se dégage néanmoins des qualités scéniques et musicales réunies ici : de quoi prendre goût à La Vestale.
C.C.
Béatrice Uria-Monzon (la Grande Vestale). Photos : Vincent Pontet / WikiSpectacle.