OEP337_1.jpg
Fernando Guimaraes (Orfeo), Reut Ventorero (Euridice).

Rocking Orfeo

De cette nouvelle création de la 20e Académie européenne d'Ambronay, on retiendra surtout les qualités narratives, le sens du pittoresque et l'inventivité de la scénographie pourtant minimale de Rudy Sabounghi. Une grande toile peinte en fond de scène et des panneaux fixes ou coulissants en trompe-l'œil, sublimés par les lumières de David Debrinay, se transforment au fil des scènes en véritables décors et permettent à l'action de se jouer d'un seul trait, et au passage de l'univers terrestre à l'au-delà de se faire sans solution de continuité. A l'acte III, une simple trappe au ras du sol et le bouillonnement de la machine à fumée suffisent à évoquer l'entrée des enfers. Charon y apparaît transformé en punk gothique accompagné de quatre danseurs en collant noir figurant une sorte Cerbère-araignée. La mise en scène de Laurent Brethome transpose l'action dans un univers contemporain qui pourrait être celui de la mode ou du show-biz : une bande de copains tapageurs fête le mariage de leur ami Orfeo – un chanteur de charme qui apparaît en smoking, dans un décor de ballons multicolores où quelques baudruches noires signalent déjà une menace. Le drame se produit au plus fort de la fête et dans l'ivresse générale. Nous basculons alors dans un monde onirique dont toutes les figures – Speranza, Proserpine, Pluton – pourraient aussi bien sortir de quelque comédie musicale à la mode. Cela vous a un petit air de déjà-vu mais fonctionne plutôt bien. La chorégraphie de Yan Raballand s'intègre avec naturel à cette approche moderne et Leonardo Garcia Alarcon soutient cette conception par une lecture musicale extrêmement vivante, pleine de clins d'œil et de trouvailles, comme cet effet rock qui accompagne l'apparition de Charon. L'instrumentation inventive et colorée fait chatoyer la partition malgré l'acoustique un peu mate du théâtre qui ne laisserait jamais deviner que l'ensemble dans la fosse comporte plus de trente pupitres.

Dans le rôle-titre, Fernando Guimaraes, seul professionnel confirmé de la distribution, semble un peu court de grave face à la tessiture centrale d'Orfeo, surtout dans son premier air « Rosa del ciel » où il semble se chercher, mais il retrouve toute sa projection dès l'acte II et se révèle au final un Orfeo très convaincant. Les multiples personnages sont incarnés par de jeunes chanteurs aux timbres très personnels, avec un sens expressif qui leur confère une forte présence scénique. Tous mériteraient une citation, mais nous mentionnerons pour mémoire l'excellent Berger de Julian Millan, la Messagère prenante d’Angelica Monje Torrez, le Charon impressionnant de Iosu Yeregui, sans oublier l'Apollon au timbre corsé de Riccardo Pisani. L'ensemble se regarde comme un beau livre d'images mais reste à un niveau de lecture assez illustratif. Lorsque la Musica revient, après le massacre d'Orphée par les Ménades – une proposition en flagrante contradiction avec le livret mais que la musique du ballet final parvient à justifier – et referme le rideau qu'elle avait ouvert au Prologue, l'impression est plutôt de sortir d'un conte que d'un opéra néo-platonicien.

A.C.

Lire aussi notre édition de L'Orfeo : L'Avant-Scène Opéra n° 207


OEP337_2.jpg
Iosu Yeregui (Charon). Photos Bertrand Pichene / CCR Ambronay.