Christopher Maltman (Gawain)
L’opéra de Kurtág, première commande d’Alexander Pereira, n’étant pas achevé, Harrison Birtwistle s’est vu chargé de représenter à Salzbourg l’opéra contemporain – ou presque – avec Gawain, créé en 1991 puis revu en 1994 et 1999. Une quête initiatique du salut, variation du mythe arthurien tirée de Sire Gauvin et le Chevalier vert, qui fait de son héros une sorte de Parsifal postmoderne – Gawain accepte de couper la tête du Chevalier et de lui offrir la sienne à son tour, un an plus tard, à Noël. Un an, non pas pour revenir en héros conquérant, mais pour prendre conscience de la vanité de l’homme et du monde. Sujet idéalement adapté au bicentenaire de la naissance de Wagner, tant les jeux d’écho apparaissent évidents : Morgan le Fay tient à la fois d’Ortrud et de Kundry, Gawain ne succombe pas à la tentation de la chair incarnée par Lady de Hautdesert…. Sans compter que l’opéra commence et finit à la cour du roi Arthur. N’y a-t-il pas, d’ailleurs, dans Parsifal, un chevalier nommé Gawan, qui va chercher des herbes susceptibles de guérir Amfortas ?
On ne peut s’empêcher, cependant, de trouver le texte du poète David Harsent un peu fumeux et un peu long. La musique elle-même, très post-bergienne, sorte d’implacable déflagration sonore, finit par sembler répétitive dans ses effets, surtout au second acte. Sans doute Birtwistle tombe-t-il dans le piège qu’il se tend à lui-même en revendiquant une proximité avec le rituel incantatoire, légitimée par sa fascination pour le mythe – ses autres opéras sont un Masque d’Orphée (1984) et un Minotaure (2008). Mue par un orchestre géant, la machine tourne parfois à vide, comme écrasée sous son propre poids, alors qu’elle témoigne d’un sens évident des lignes et des timbres. Victime aussi de ce livret trop statique, surchargé de sentences et d’intentions.
On pense avec nostalgie au choc des Soldats de Zimmermann, il y a un an – le moment le plus fort de la cuvée 2012. Un triomphe d’Ingo Metzmacher et d’Alvis Hermanis, de nouveau à l’œuvre ici – le chef a révélé que l’intendant lui avait laissé… vingt-quatre heures pour accepter ou refuser sa proposition. Même orchestre réparti entre la fosse et les côtés, même souveraine maîtrise de l’écheveau et de la masse, même enthousiasme : la direction fait des miracles afin de maintenir une problématique tension, en totale osmose avec un orchestre de l’ORF très vaillant. Distribution remarquable aussi, alors que les voix se trouvent parfois violentées, en particulier celle de Morgan en qui se réincarnent les vocalises de Lulu : sidérante Laura Aikin, une fois de plus. Plus de vingt ans après la première, John Tomlinson tient encore le coup, même si le grave se dérobe totalement, plus à l’aise en Bertilak de Hautdesert qu’en Chevalier vert – dont il est le double. Et Christopher Maltman impose aussitôt son Gawain au timbre de bronze, qu’il phrase comme s’il chantait un opéra du répertoire.
Alvis Hermanis lui a donné les traits de Joseph Beuys, dont l’univers sert de toile de fond à sa mise en scène. Gawain devient une sorte de parabole futuriste où l’humanité, après un tsunami ou un Tchernobyl – projetés sur un écran –, régresse à l’état sauvage et animal : convulsions d’aliénés, cannibalisme et nécrophilie… Si la cour d’Arthur oscille entre cour des miracles et asile de fous, la nature, elle, a repris ses droits, couvrant de mousse des personnages et des cadavres de voitures, mais aussi les arcades du Manège des rochers. C’est là le cœur de la vision du metteur en scène lituanien, qui a voulu s’affranchir de la moralité du texte médiéval et poser, au-delà de l’opposition entre christianisme et paganisme, l’éternelle et actuelle question de notre rapport à une nature violée, incarnée par le Chevalier vert, statue équestre rappelant le Commandeur, et de son utopique réconciliation avec l’homme. D’où l’assimilation à l’univers des performances de Beuys – on retrouve, trait pour trait, par exemple, « America likes me and I like America ». C’est mené de main de maître, assez virtuose, parfois très dur, très pessimiste dans le dénouement. Mais cela ne suffit pas à dissiper l’impression progressive de longueur et d’ennui.
D.V.M.
John Tomlinson (The Green Knight/Bertilak de Hautdesert), JenniferJohnston (Lady de Hautdesert), Christopher Maltman (Gawain), Laura Aikin (Morgan le Fay). Photos Ruth Walz.