Elisabeth Kulman (Mrs. Quickly), Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff).
Milan, Casa Verdi, maison de retraite pour chanteurs et musiciens fondée par le compositeur. Rêvant sur le canapé du salon, un Falstaff d’autrefois se souvient, ventripotent ivrogne comme le héros qui fit autrefois son succès. Murs et tentures oscillent, les personnages de l’opéra surgissent pour rejouer l’histoire du pancione. Damiano Michieletto, auquel Salzbourg avait confié La Bohème l’an passé, nous referait-il le coup de l’Iphigénie de Krzysztof Warlikowski ? Nous offrirait-il un pendant du Quartet de Dustin Hoffman ? Sans parler du Bacio di Tosca de Daniel Schmid… Moins éclat de rire que réflexion sur la permanence du désir et l’angoissante inéluctabilité de la mort : un couple de pensionnaires double les jeunes amoureux et la farce sylvestre, à la fin, se mue en cérémonie d’obsèques – peut-être aussi, celles de Verdi lui-même ? Le dernier tableau montre les limites de cette production honnête : entre la tragédie pure et la tragédie distancée, les larmes et le rire, le metteur en scène ne choisit pas vraiment, n’échappant pas toujours à la lourdeur – comme lorsque les Fées se déshabillent pour exciter un Falstaff tout affriolé. Il y avait pourtant, au début, une certaine féerie dans cette serre aux éclairages mystérieux. Le spectacle pâtit aussi d’une incessante et assez vaine agitation, parce que le propos manque de force, n’est pas totalement maîtrisé, faute notamment d’une direction d’acteurs plus affûtée. Les moments les plus tristes, du coup, perdent de leur impact, comme lorsque Mrs. Quickly devenue garde malade donne la becquée à l’ancienne gloire du chant retombée en enfance, réduite à feuilleter l’album de son triomphe.
C’est aussi un opéra de la nostalgie que dirige un Zubin Mehta ciselant chaque détail avec gourmandise, en complicité avec une Philharmonie de Vienne aux sonorités irisées et subtiles, direction plus portée sur la poésie que sur le rythme – comme si le champagne était frelaté –, sur les contrastes que sur l’ensemble. Distribution très homogène où certains personnages, néanmoins, ne sont pas fortement caractérisés, telle l’Alice de Fiorenza Cedolins, au charme sans piquant, ou le Ford très en voix mais tout d’une pièce de Massimo Cavalletti. Fenton et Nannetta ont la fraîcheur de leur jeunesse, un peu verte encore chez la gentille Eleonora Buratto, un peu détimbrée dans les nuances chez le fougueux Javier Camarena. La meilleure des commères est Elisabeth Kulman, voix franche et jamais grasse, qui nous rajeunit la Quickly, rien moins que rombière ici, et la chante avec des registres soudés, poitrinant juste ce qu’il faut. Mais tous sont dominés, sinon écrasés, par le Falstaff grandiose et souverain, à la fois mélancolique et flamboyant, toujours chanté, toujours phrasé, à l’aigu percutant, d’Ambrogio Maestri.
D.V.M.
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Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff). Photos Silvia Lelli.