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Les deux décors superposés.

 

La trente-cinquième édition du festival de Buxton – festival musical, littéraire et opératique d'une ville d'eau nichée au cœur du parc naturel du Peak District – nous offre, une fois de plus, de belles surprises. Cette année, au centre de leur programmation, se trouvèrent La finta giardiniera de Mozart et, sujet de cette critique, une soirée composée de deux opéras-comiques français injustement oubliés du grand public – La Princesse jaune de Camille Saint-Saëns et La Colombe de Charles Gounod.

Commençons par le troisième opéra composé par Saint-Saëns, et le premier à arriver sur la scène de la salle Favart en juin 1872, dans une soirée qui comportait aussi Le Passant d'Emile Paladhile et Djamileh de Georges Bizet. L'opéra de Bizet domine alors la soirée et perdurera dans le répertoire deux fois plus longtemps que celui de Saint-Saëns. Mais l'œuvre de ce dernier ne manque pas de charme, capitalisant sur la vogue de japonaiserie de l'époque – de par son sujet et par son dessin musical et instrumental qui évoque librement l'Orient par des gammes pentatoniques, des pédales, des arabesques et des mélopées aux bois. Sans complètement oublier le style galant de l'opéra-comique du XVIIIe siècle (dans un menuet chanté par Léna, l'héroine de l'histoire), la partition de La Princesse jaune est d'un ton dramatique qui évoque plutôt le grand opéra et le drame lyrique des années 1880 et 1890, autant par la dramaturgie que par le language musical – saisissante est la prise de l'opium par Kornélis, provoquant chez lui la vision de sa princesse orientale (en fait, sa cousine Léna), qui n'est pas sans rappeler la scène de l'air d'Hérode «Vision fugitive» d'Hérodiade de Massenet, où le Tétrarque boit lui aussi un philtre d'amour entraînant une vision de sa bien-aimée Salomé. Par un beau jeu de contrastes musicaux et orchestraux, Saint-Saëns nous livre une partition suave, émouvante et riche.

La Colombe de Gounod fut écrite pour le Théâtre du Casino de Bade en 1860, haut lieu de la création musicale où Berlioz fut regulièrement invité de 1856 à 1863. D'une ville d'eau à une autre et plus de 150 ans plus tard, La Colombe n'a pas perdu une plume. D'un charme un peu suranné évoquant largement le vieil opéra-comique, l'écriture musicale et instrumentale est exquise d'un bout à l'autre de la partition – du solo de violoncelle de l'ouverture nous annonçant le thème de la romance d'Horace, au duo d'amour du II entre Sylvie et Horace, quasi tristanesque (mais seul un perroquet y meurt, tandis que les protagonistes tirent leur épingle du jeu !) –, et la combinaison des quatre voix (soprano colorature, dugazon, ténor léger, basse chantante), dans les ensembles, est toujours ravissante.

Les décors de la production présentée à Buxton sont ingénieux. Lez Brotherston a réussi à lier ces deux œuvres en nous montrant la pauvre mansarde d'un peintre au centre de laquelle se trouve un grand tableau représentant une belle Japonaise en kimono jaune (qui évoluera pendant l'hallucination de Kornélis). Le plancher de cet appartement se trouve surélevé au deuxième tableau, et devient le dernier étage d'un immeuble haussmannien dont le voisin du dessous n'est autre qu' Horace (de La Colombe). Ainsi, au début de La Colombe, Léna (de La Princesse jaune) passe sur l'escalier et donne le bonjour à Mazet, le filleul d'Horace, avant de regagner la chambre sous le toit. Cette proximité parisienne (qui remplace la Hollande et la campagne toscane dans les didascalies originales des deux opéras) fonctionne à merveille et nous rappelle le milieu culturel qui a donné naissance à ces deux œuvres. Les directeurs artistiques ont invité le grand musicologue berliozien Hugh MacDonald à traduire en anglais La Colombe et engagé une soprano française, Anne Sophie Duprels, pour le rôle de Léna. Ainsi, le spectateur se trouve dans la situation un peu étrange d'écouter l'opéra de Saint-Saëns en langue originale, suivi par la traduction astucieuse et malicieuse de MacDonald en deuxième partie, qui donne à l'œuvre de Gounod un parfum d'opérette: dans la scène finale (où Horace et Sylvie dînent d'une volaille qu'on croit tous être la colombe du titre de l'œuvre, mais qui es, en fait, le perroquet de la rivale de Sylvie), la rime « carrot » / « claret » / « parrot » a provoqué l'hilarité du public buxtonnien !

L'interprétation ne fait pas l'unanimité. Le ténor américain Ryan MacPherson est plus à l'aise dans le rôle léger mais néanmoins lyrique d'Horace que dans le personnage du rêveur Kornélis qui demande une prestance et une voix plus dramatiques. Dans La Princesse jaune, les chanteurs ne semblaient pas savoir sur quel pied danser : les qualités dramatiques de l'œuvre sont difficilement conciliables avec une mise en scène étriquée qui laisse la soprano minauder en soubrette face à un ténor héroïque qui se prend trop au sérieux. Par ailleurs, la voix prodigieuse d'Anne Sophie Duprels laisse froid – aucune émotion sincère ne passe dans son chant. Le quatuor de La Colombe marche beaucoup mieux : le timbre de MacPherson s'épanouit, la petite voix colorature et cristalline de Gillian Keith remplit bien son rôle (écrit pour Marie-Caroline Miolan-Carvalho), et Emma Carrington (Mazet) et Jonathan Best (Maître Jean) complètent l'ensemble harmonieusement. En outre, la mise en scène, qui donne alors plus de place aux quatre protagonistes pour se mouvoir et s'exprimer, est certes plus conventionnelle mais marche d'autant mieux, renforçant le côté opérette du spectacle. Stephen Barlow, directeur artistique du festival, conduit son orchestre en maître du genre – un orchestre qui sonne amplement dans la petit salle du théâtre, bijou de style italien construit au début du siècle dernier et orné d'un décor néoclassique. On sent qu'il aime ce répertoire et s’en donne à cœur joie de nous l'offrir en ce bel été.

C.R.


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La Princesse jaune
: Anne Sophie Duprels (Lena) et Ryan MacPherson (Kornelis).

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La Colombe
: Emma Carrington (Mazet), Gillian Keith (Sylvia),Ryan MacPherson (Horace), Jonathan Best (Maître Jean). Photos Robert Workman.