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Gordon Gietz (Faust).

Pour sa troisième édition, le Festival d'opéra de Québec poursuit sa collaboration privilégiée avec Robert Lepage en donnant La Damnation de Faust, spectacle d'abord conçu pour le Festival Saito Kinen en 1999, puis joué à l'Opéra Bastille en 2001 avant que le Met le reprenne en 2008 dans une version légèrement modifiée. Après Le Rossignol et autres fables (2011) et The Tempest (2012), qui constituèrent des réussites exceptionnelles à tout point de vue, le Festival s'est donc tourné vers une mise en scène déjà un peu ancienne et qu'un très large public a pu découvrir au cinéma lors de la retransmission en direct de New York le 22 novembre 2008. Hautement spectaculaire et souvent éblouissante, la vision de Lepage n'en appelle pas moins un certain nombre de réserves.

En renonçant à la profondeur de la scène pour se limiter à une aire de jeu essentiellement verticale formée d'une immense boîte de 24 cases, le metteur en scène fait évoluer chanteurs, choristes, danseuses et figurants dans un espace terriblement restreint. Si le procédé permet de créer de la sorte une espèce d'écran géant et de passer instantanément d'un endroit à l'autre, ce choix limite par trop la liberté de mouvement. Plus intéressé par la technologie que par la direction d'acteurs, Lepage nous ouvre un somptueux livre d'images dans lequel une place de choix est réservée à la vidéo interactive tandis que les chanteurs semblent passablement livrés à eux-mêmes et presque négligés au profit d'acrobates fort impressionnants, mais qui en viennent à nous distraire de la musique. Précisons cependant que la magie opère à plusieurs moments – comme dans l'église, avec les magnifiques vitraux et les cinq christs en croix qui disparaissent au moment de l'arrivée de Méphisto. Par ailleurs, un véritable instant de grâce a lieu lorsque Méphisto fait chavirer l'embarcation dans laquelle il se trouve avec Faust et que ce dernier plonge dans les profondeurs de l'Elbe où se déroule une sorte de ballet aquatique du plus bel effet. Paradoxalement, Lepage semble moins inspiré par les moments où l'on s'attendrait à plus d'action sur scène. Ainsi, pendant la Marche hongroise, il se contente de faire défiler à reculons des soldats – malheureusement mal synchronisés – puis des jeunes femmes. L'évocation du Pandémonium est bien peu terrifiante avec de pauvres diables dénudés jusqu'à la taille et alignés sagement sur la scène. Et que dire du tableau final, sinon qu'il termine de façon décevante le spectacle, avec une Marguerite devant monter un à un et précautionneusement les barreaux d'une échelle dressée jusqu'aux cintres. Quel contraste entre cette image prosaïque et le sublime Chœur des esprits célestes !

Inégale sur le plan musical, la soirée nous donne d'abord l'occasion d'entendre la première Marguerite de Julie Boulianne, mezzo à la voix parfaitement projetée et aux magnifiques couleurs sombres. Aussi bien dans la chanson gothique (Le Roi de Thulé) que dans son émouvante romance (« D'amour l'ardente flamme »), elle comprend à merveille le langage de Berlioz et traduit toute la richesse intérieure de son personnage. On ne saurait en dire autant de Gordon Gietz, ténor doté de moyens honnêtes, capable de belles demi-teintes mais dépassé par les exigences et la complexité du rôle de Faust. On peut comprendre son manque d'assurance au début de la représentation et ses difficultés dans le périlleux duo avec Marguerite ; il est toutefois inconcevable que son Invocation à la nature tombe complètement à plat. Dans le rôle de Méphisto, la basse John Relyea met beaucoup de temps à s'échauffer, en particulier dans le registre aigu ; il se ressaisit par la suite et donne la pleine mesure de son talent dans la deuxième moitié de l'œuvre. Son physique avantageux, son costume seyant et son aisance en scène  font de ce Méphisto un être d'une séduction redoutable. Alexandre Sylvestre compose enfin un très bon Brander, au grave manquant toutefois de consistance. Le chœur connaît des bonheurs variables : excellent dans les moments tout en délicatesse (Chœur de gnomes et de sylphes) ou dans les vociférations des enfers, il s'avère nettement moins satisfaisant dans les premières scènes, notamment en raison du manque d'homogénéité des ténors. Quant au chef Giuseppe Grazioli, il se contente de diriger sans bavure une partition qui mériterait davantage d'imagination et un plus grand souci des nuances. C'est seulement à partir de la romance de Marguerite qu'il semble prendre la mesure de l'œuvre et qu'il commence à ciseler finement les longues phrases envoûtantes de Berlioz. Au final, voilà une Damnation de Faust qui laisse une impression mitigée, dont on retiendra certains tableaux ensorcelants de Robert Lepage et la superbe Marguerite de Julie Boulianne.

L.B.

Lire aussi notre édition de La Damnation de Faust : ASO n° 22


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Julie Boulianne (Marguerite), Gordon Gietz (Faust) et John Relyea (Méphisto). Photos Louise Leblanc.