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La capitale de la Saxe constitue en cette année 2013 une destination de choix pour les wagnériens : outre l'exposition Richard Wagner à Dresde - Mythe et histoire que présente le Musée de la ville, le Semperoper a mis à l'affiche quatre des ouvrages du maître de Bayreuth, soit Lohengrin (direction Thielemann), Le Vaisseau fantôme, Tannhäuser et Tristan et Isolde (avec la toute première Isolde d'Eva-Maria Westbroek). Seul Le Vaisseau fantôme donne lieu cependant à une nouvelle production, signée Florentine Klepper, qui succède à la mise en scène que Wolfgang Wagner avait réalisée en 1988.

Un peu à la manière de Harry Kupfer (Bayreuth, 1978), Klepper accorde une importance extrême au monde intérieur de l'héroïne, présente dès le début sous la forme d'une petite Senta qui s'abîme dans la contemplation de la mer et dont on comprend vite qu'elle fut violentée par les hommes d'équipage de son père. Sitôt après l'ouverture, une surprise de taille attend le spectateur : l'orchestre se tait pendant de longues minutes au cours desquelles on n'entend que le déferlement des vagues et le cri inquiétant des oiseaux survolant une presqu'île sauvage et pour le moins lugubre. Senta adulte assiste à l'enterrement d'un personnage qui se révélera plus tard être son propre père. Le premier acte se déroule non pas sur le navire de Daland, mais dans une espèce de débit de boissons. Nulle trace dans cette scénographie de mâts, voiles, coque ou gouvernail. D'immenses poissons suspendus rappellent le métier des hommes, qui portent tous des salopettes jaunes. Au deuxième acte, les fileuses deviennent des parturientes qui se retrouvent à tour de rôle sur un vaste lit blanc d'où elles se lèvent avec leur enfant dans les bras. Mary est ici une sage-femme incapable de comprendre comment Senta peut résister au désir de la procréation. Le dernier acte nous ramène sur les bords de la mer et à la cérémonie funèbre du début qui prend des allures de cauchemar à la Goya. Senta y voit son père se lever de son cercueil au moment où retentit le chœur des matelots du vaisseau fantôme, puis elle échappe de peu au mariage avec Erik. Plutôt que de se jeter dans les flots pour sauver le Hollandais, elle quitte, valise à la main, la communauté où elle refusa toujours d'obéir aux normes. C'est la petite Senta – qu'on peut interpréter comme le symbole de l'âme de la jeune femme – qui suit les traces du marin maudit. Sous ses bras ont poussé de petites ailes délicates, qui font penser à la grande aile noire du Hollandais au premier acte. Si, en raison d'une certaine surcharge et d'un manque de lisibilité au troisième acte, cette mise en scène appelle quelques réserves, il n'en demeure pas moins qu'elle propose une lecture stimulante et d'une belle efficacité dramatique.

Dans la fosse, l'orchestre de la Staastskapelle de Dresde est une source de ravissement constant : somptuosité des cors et de tout le pupitre des cuivres, raffinement suprême des bois, souveraine magnificence des cordes... Tout ici est prétexte à émerveillement, d'autant plus que le chef Constantin Trinks n'hésite pas à adopter des tempi parfois un peu lents (dans l'ouverture) ou précipités (dernières scènes) qui répondent constamment à une justification musicale ou dramaturgique. Le chœur fait également preuve d'une vaillance et d'une ardeur extraordinaires, tout en bougeant avec beaucoup de naturel. Très solide, la distribution ne réunit aucune grande vedette, mais une équipe au sens fort du terme et d'un niveau remarquable. Doté d'un timbre relativement clair pour le rôle-titre, Markus Marquardt n'en impose pas moins une incarnation superbe, tout comme la soprano américaine Marjorie Owens, au vibrato un peu large mais dont la voix ductile se plie fort bien aux exigences de la partition. Les moyens vocaux exceptionnels de Georg Zeppenfeld – le roi Henri dans la production controversée du Lohengrin de Hans Neuenfels filmée à Bayreuth en 2011 – servent à la perfection le personnage de Daland. La splendide voix grave de Christa Mayer fait merveille en Mary, tandis que Will Hartmann (Erik) représente le maillon le plus faible des solistes. En définitive, on peut louer le Semperoper pour cette nouvelle production du Vaisseau fantôme, la dixième de son histoire depuis la création en 1843, globalement digne des éloges les plus enthousiastes.

L.B.

Lire aussi notre édition du Vaisseau fantôme : ASO n° 30.


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Photos Matthias Creutziger.