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Carlton Ford (Dewain), Joël O'Cangha (David), Wallis Giunta (Tiffany), Janinah Burnett (Leila), Jonathan Tan (Rick), John Brancy (Mike), Hlengiwe Mkhwanazi (Consuelo).

 

Porgy and Hair

Ni véritablement musical ni réellement opéra, le songplay de John Adams créé à Berkeley en 1995 est une pièce à numéros répartis en deux actes articulés autour du tremblement de terre qui ravagea Northbridge, au nord de Los Angeles, en 1994. Avant et après ce moment-clé, sept personnages nouent et dénouent les fils de leurs vies croisées, constituant une quasi-coupe sociologique : parmi eux, le jeune Noir qu’un simple larcin envoie en prison, l’immigrée clandestine qui a fui la guerre civile et régule mal ses maternités, le pasteur cool qui joue les grands frères, le flic au grand cœur mais à la sexualité trouble, la journaliste aux dents longues, l’Asian American fils de boat people et devenu avocat à force de sérieux… On frôlerait les clichés, n’était cette évidence que ce cocktail de jungle urbaine et de libération sexuelle, de melting pot et de société du spectacle nous dit bien quelque chose de la Californie du temps. Surtout, les lyrics de June Jordan dessinent de véritables personnalités d’une plume tranchée et crue, et le tremblement de terre est traité non pas en catastrophe indépassable, mais en péripétie qui ouvre de nouveaux horizons et permet à chacun un nouveau regard sur les autres et sur soi.

Musicalement, John Adams s’amuse, quitte à frustrer les tenants du lyrique comme ceux du musical : sa partition est un exercice de style (jazz, blues, pop, rock, funk, soul, latino…) qui assume les références faciles (Joe Cocker !), découpée abruptement (quasiment aucune transition entre les numéros, presque aucun dialogue parlé) par des silences cut qui empêchent la narration théâtrale de s’installer. Ce sont donc des fragments que l’on retient avant tout, sans que l’un plus que l’autre ne parvienne à résumer ou définir l’ouvrage : la chanson-titre, bien sûr ; celles, infiniment nostalgiques, de Consuelo ; ou, vraies perles complémentaires, le trio des Mauvais garçons (véritable « Ode au pénis » chantée par les trois voix féminines) et le quatuor de la Sweet Majority qui règne sur le monde (entendez : la population féminine et ses charmes, ici suavement vantés par les bad boys).

La production du Châtelet affiche de sérieux atouts : un ensemble instrumental impeccable que la direction tonique d’Alexander Briger fait sonner, cuivrée et groovy ; une scénographie astucieuse de Giorgio Barberio Corsetti et Massimo Troncanetti, où la vidéo graphique d’Igor Renzetti habille avec fantaisie un jeu modulable de sobres cubes-immeubles – même si ces déplacements accentuent encore les césures entre numéros. On n’en dira pas tant de la direction d’acteurs, souvent laissée au seul talent des interprètes. Le plateau vocal est jeune et harmonieux. Pas idéal, certes : quelques faiblesses d’intonation ici (la Consuelo de Hlengiwe Mkhwanazi), un medium un peu faible là (chez Janinah Burnett et sa Leila, qu’une franche belting voice servirait mieux), parfois trop de vibrato lyrique (Leila toujours) ou de verdeur dans les aigus en falsetto (Joel O’Cangha)… Mais chez tous, un bel engagement, qui s’accompagne chez Carlton Ford (Dewain) et Wallis Giunta (Tiffany) d’une solidité vocale et d’une exactitude stylistique remarquables. Outre un trio des Mauvais garçons d’un parfait équilibre a cappella, Wallis Giunta (registre grave et ambré inversement proportionnel à son format poids-plume !) reste peut-être le clou musical de la soirée, avec sa ballade jazzy How Far Can I Go.

C.C.


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Hlengiwe Mkhawanzi (Consuelo), Janinah Burnett (Leila), Wallis Giunta (Tiffany). Photos Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet.