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Alexandre Sylvestre (Brétigny) et Marianne Fiset (Manon).

Conçue comme écrin pour mettre en valeur Marianne Fiset, la Manon de l'Opéra de Montréal reprend les décors très traditionnels de Bernard Uzan (production de 1999), mais dans une nouvelle mise en scène du Canadien Brian Deedrick. Plus à l'aise dans le registre léger des premières scènes que dans les moments plus dramatiques, ce dernier prend plaisir à bien caractériser les personnages secondaires, à ajouter ici et là quelques touches d'humour bienvenues et à rendre grouillant de vie le tableau de l'auberge d'Amiens. Il confère également une profondeur psychologique insoupçonnée à Manon lorsque celle-ci, parvenue au sommet de la gloire, chante l'importance de bien profiter de la jeunesse en évoluant parmi des adorateurs pétrifiés, symboles éloquents de son désir éperdu de prolonger le moment présent, voire de suspendre le cours du temps. Par contre, le metteur en scène nuit au trop court divertissement chorégraphié lorsqu'il fait asseoir Manon et Guillot de Morfontaine juste devant les six danseuses de l'Opéra, gênant ainsi la vue des spectateurs. Plus grave encore, il rate carrément la scène de Saint-Sulpice, pivot de l'œuvre, où les deux jeunes gens passent presque toute la scène sur le sol, chacun de son côté ou enlacés, et où Des Grieux n'oppose pratiquement aucune résistance à Manon avant de lui céder. Toute la progression savamment dosée de la séduction ensorcelante de Manon qui vient à bout du conflit intérieur de Des Grieux tombe ainsi à plat. Deedrick retrouve le ton juste dans les deux derniers tableaux, sans convaincre cependant d'avoir parfaitement bien compris l'essence du chef-d'œuvre de Massenet.

Après avoir chanté le rôle en 2012 à l'Opéra Bastille, où elle remplaça à plusieurs reprises Natalie Dessay, Marianne Fiset propose un portrait touchant et nuancé de l'héroïne de l'abbé Prévost revisitée par le XIXe siècle finissant. Davantage espiègle ou mutine que grande dame, elle ne rend pas tout à fait crédible la transformation du personnage en reine de la haute société parisienne. Merveilleuse dans les moments mezza voce, elle sculpte amoureusement les longues phrases sensuelles de la partition ; elle a toutefois tendance à forcer un peu la voix dans les passages plus exposés et le tableau du Cours-la-Reine, le plus virtuose, lui pose quelques problèmes techniques. À ses côtés, le Des Grieux de Richard Troxell (Pinkerton dans le film Madame Butterfly de Frédéric Mitterrand) a le mérite de remplacer au pied levé Bruno Ribeiro et de sauver la représentation, ce dont il faut lui savoir gré. Certes, la voix flanche par moments, le texte n'est pas toujours bien mémorisé et de nombreuses petites imprécisions entachent la ligne vocale, mais l'artiste force notre respect de par son courage et aussi de par la nature intrinsèque de ses moyens. Ainsi, « Le rêve » du deuxième acte se termine de façon magique, sur de superbes notes filées. Jeune baryton-basse à la forte présence scénique, Gordon Bintner est un Lescaut flamboyant, à la voix magnifique et à la diction impeccable. Le comte des Grieux d'Alain Coulombe s'impose par l'opulence de ses moyens vocaux et son autorité dramatique. Si Alexandre Sylvestre campe un Brétigny parfaitement en situation, le jeu de Guy Bélanger en Guillot est franchement outrancier. Le chœur est dans l'ensemble très bon, quoique les hommes manquent parfois d'homogénéité. Dans la fosse, Fabien Gabel dirige avec beaucoup d'énergie l'Orchestre Métropolitain qui sert bien l'ouvrage de Massenet, en particulier dans les passages délicats décrivant l'extase amoureuse ou la désolation des derniers instants. Le chef, l'orchestre et les chanteurs concourent à la bonne tenue d'une soirée qu'une mise en scène plus soignée aurait rendu davantage inoubliable.

L.B.

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Gordon Bintner (Lescaut). Photos Yves Renaud.