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En montant l'œuvre sans doute la plus échevelée d'Offenbach, l'Opéra de Québec prouve avec brio combien une bonne dose d'imagination et d'inventivité peut amplement compenser la relative modestie des moyens. Transposée en plein cœur des années folles, l'intrigue de La Vie parisienne se déroule ici devant un écran sur lequel sont projetées des images des lieux de l'action comme la gare de l'Ouest, mais aussi et surtout des images souvent ludiques ou même poétiques, comme un immense plan de Paris, des vues en contre-plongée de la Tour Eiffel, d'un pont enjambant la Seine, ou d'un portrait du colonel mort à la guerre dont Gabrielle (alias Mme de Saint-Amaranthe) chante le tendre souvenir. Ce tableau se déplace lentement du côté cour au côté jardin avant que la veuve éplorée ne lui envoie un ardent baiser... qui s'imprime sur la toile sous la forme de lèvres rouges. Meubles et accessoires proviennent des magasins IKEA, histoire sans doute de ne pas trop dépayser le baron et la baronne de Gondremarck, fraîchement débarqués de leur Suède natale...

Le metteur en scène Alain Gauthier a su trouver le ton juste dans cette opérette où l'importante portion de passages parlés doit s'imbriquer de façon harmonieuse aux airs et ensembles. Quelques ajouts savoureux relatifs à des personnalités du Québec viennent pimenter le texte des dialogues ainsi que l'air d'entrée de la Baronne, sans que jamais l'œuvre ne soit défigurée. Excellent directeur d'acteurs, Alain Gauthier confère comme il se doit beaucoup de vivacité à l'action tout en se révélant maître dans l'art d'animer le chœur, en particulier à la gare de l'Ouest, où employés et voyageurs nous emportent dans un tourbillon effréné d'un effet saisissant. La scène d'ivresse du Baron, couché sur une gigantesque table que l'on balance un peu comme un berceau, est d'une grande cocasserie. Seuls manquent finalement à notre bonheur deux ou trois danseurs qui, chez Gardefeu et à l'hôtel de Quimper-Karadec, auraient ajouté une touche chorégraphique très appropriée à un tel ouvrage.

L'autre triomphateur de la soirée est sans conteste Jean-François Rivest, chef admirable qui entraîne l'orchestre et les chanteurs dans une atmosphère pétillante, nerveuse, réjouissante. Sous sa direction, l'Orchestre symphonique de Québec possède un tonus exceptionnel. Quitte à bousculer quelque peu certains chanteurs, Rivest maintient un rythme endiablé toujours justifié par la partition, dont il sait également mettre en relief le caractère sensuel. Sur le plateau, les chanteurs se prêtent au jeu avec plaisir et un esprit d'équipe évidents. Sur le plan strictement vocal, on retiendra surtout la délicieuse Gabrielle de Pascale Beaudin au chant délicat, la Métella envoûtante de Nathalie Paulin, le Gardefeu roué de Patrick Mallette, de même que Judith Bouchard et Monique Pagé en Pauline et baronne de Gondremarck. Marc Hervieux compose un Brésilien spectaculaire de par ses incessants mouvements de danse, encore qu'il soit un peu à la traîne dans son air d'entrée. Robert Huard (le Baron) et Éric Thériault (Bobinet) sont pour leur part des comédiens impayables, notamment dans le grand ensemble hilarant « Votre habit a craqué dans le dos ! » En résumé, le tandem Gauthier-Rivest a su réaliser une production extrêmement réussie et on ne peut plus respectueuse de l'esprit d'Offenbach.

L.B.

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Photos Louise Leblanc.