Photo Christian Dresse.
Après Toulouse en mars dernier, c'était au tour de Marseille d'accueillir la production très décriée d'Aix-en-Provence 2011, avec une distribution entièrement renouvelée.
Le décor monumental évoquant un palais antique, plongé en permanence dans une demi-pénombre, fait peser un climat d'oppression quasiment palpable sur toute l'action. En choisissant des costumes XVIIIe, uniformément sombres, David McVicar a d'évidence voulu remettre l'opéra dans une perspective historique, celle de l'Europe des années 1790 aux prises avec la mise en cause de la monarchie absolue, particulièrement incarnée par les Habsbourg et ce Josef II dont l'opéra célèbre le couronnement comme Roi de Bohême. Sextus a des allures de Saint-Just ou de Desmoulins tandis que Titus, en costume de cour immaculé, paraît se mouvoir dans une sphère hors de portée du commun des mortels. L'omniprésence de la garde prétorienne interdit tout accès à sa personne, aux courtisans comme à ses familiers. La menace et la suspicion règnent, en totale contradiction avec les professions de foi de l'Empereur sur la paix civile. Le dénouement constitue d'évidence le moment de pleine affirmation du monarque – dont on se demande jusqu'à quel point il était jusque là sincère – lorsqu'il apparaît avec tous les insignes du pouvoir tandis que vient d'être dévoilé un buste à son effigie. Cette vision pessimiste s'achève sur la séparation définitive des personnages. Titus, désormais tout à fait isolé, ne pourra retrouver Sextus qui se bannit lui-même, abandonnant Vitellia à ses remords. L'ensemble est certes cohérent et s'appuie sur une lecture approfondie du livret mais peut paraître austère à un public non averti.
Le plateau réuni par l'Opéra de Marseille laisse une impression mitigée. Dans le rôle-titre, Paolo Fanale s'affirme particulièrement dans les grandes scènes dramatiques du deuxième acte. La voix est brillante, facile dans l'aigu, la colorature encore un peu timide et pourrait bénéficier d’une meilleure assise dans le grave. En Vitellia, Teresa Romano possède un beau tempérament scénique et impressionne par la puissance d'une voix très centrale, aux graves imposants. Malheureusement les aigus forte sont systématiquement passés en force et à la limite de la musicalité. Tous deux cependant bénéficient d'un italien naturel, expressif et toujours compréhensible, qui donne beaucoup de relief à leurs récitatifs. Le couple Annio / Servilia est servi par un duo de jeunes chanteuses d'une grande fraîcheur : Clémence Barrabé encore un peu légère mais très fiable dans « S'altro che le lagrime », et Christine Tucci qui devra encore travailler l'homogénéité de ses registres dans « Tu fosti tradito ». Josef Wagner constitue un Publio de grand luxe même si son unique air n'est pas tout à fait à la hauteur de son talent de belcantiste. L'élément le moins convaincant reste le Sextus de Kate Aldrich dont la voix assez ordinaire, insuffisamment timbrée dans le grave et peu projetée, donne souvent l'impression de survoler le rôle. Elle ne parvient vraiment à convaincre que dans ses deux grandes scènes, celle qui clôt le premier acte et celle de sa confrontation avec Titus dans le second, qui exigent de l'interprète l'engagement maximum.
La direction de Colin Davis avait été largement incriminée dans le caractère quelque peu compassé du spectacle originel. Après une ouverture aux tempi modérés et sans grand relief, Marc Shanahan se révèle au fil de la soirée un chef très fiable, attentif aux moindres détails d'orchestration comme aux chanteurs, capable de donner l'impulsion nécessaire à une œuvre difficile à faire exister dans ses ambiguïtés stylistiques et dont il donne vision sinon vraiment exaltante, du moins fluide et cohérente.
A.C.
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