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Le bal du IIIe acte. De dos : Orlin Anastassov (Alvise Badoero).

 

Heureuse initiative que l’entrée au répertoire de l’opéra de Paris de La Gioconda de Ponchielli. Mais un ouvrage d’une telle exigence vocale – et stylistique, car derrière le monument supposément vériste se cachent des trésors de nuances et de phrasés dessinés par le compositeur – aurait mérité un plateau d’une autre trempe. Hélas, Violeta Urmana passe en force tous les aigus de la Chanteuse vénitienne, d’attaques qui claquent le tympan en tenues stridentes qui semblent une épreuve de force pour l’interprète comme elles le sont pour son auditoire. Marcelo Alvarez, lui, possède le panache d’Enzo mais en rien l’aristocratie de Grimaldo : « Cielo e mar » est méconnaissable de phrasés courts et comprimés, et les piani aigus tout simplement supprimés tant ils mettent à mal le soutien du ténor. Orlin Anastassov ne manque pas d’autorité, mais le timbre s’élime dans l’aigu, privant son Alvise d’un vrai charisme. Claudio Sgura est plus adéquat en Barnaba – plus séducteur que maléfique –, et Luciana d’Intino sert Laura de son vrai mezzo plein et généreux – sinon toujours délicat. C’est finalement la Cieca de Maria José Montiel qui sort du lot et offre les meilleurs moments de chant de la soirée, d’une voix aussi ample que finement conduite, jamais débordante ou cabotine, mais pleinement émouvante.

Aussi peu de raffinement vocal étonne d’autant plus que la direction de Daniel Oren travaille l’orchestre de Ponchielli à son meilleur : élans voluptueux quand il le faut, mais aussi détachement des timbres et des coloris, ciselure des dialogues instrumentaux, atmosphères chambristes superbement mises en relief. C’est donc dans la fosse que l’on entend véritablement La Gioconda à défaut d’en savourer l’univers vocal.

Déjà présentée à Barcelone, Madrid et Vérone, la mise en scène de Pier Luigi Pizzi se scinde elle aussi en deux versants irréconciliés. Plutôt réussie sinon vraiment personnelle, la scénographie est à la fois monumentale (les escaliers chers à Pizzi), très vénitienne (canaux, puits et gondoles sont au rendez-vous) et sobrement graphique (avec une palette serrée de noirs et blancs, gris et rouges, et un travail assez élégant sur les contre-jours) ; Gioconda, en quasi-robe du soir bleu électrique, tranche certes volontairement – mais… périlleusement aussi – sur ce tableau harmonieux. La direction d’acteurs, en revanche, est oublieuse et abandonne les interprètes aux périls de l’emphase. La Danse des heures, totalement détachée ici de son propre argument (à part la présence de 12 ballerines) comme de l’action générale, devient un grand pas de deux avec sujets, où l’on admire les fouettés impérieux d’Angel Corella.

Pas sûr pourtant que, chantée ainsi, cette Gioconda ait su convaincre ceux qui ne connaissaient de l’ouvrage que ses fragments les plus célèbres.

C.C.

Lire aussi notre édition de La Gioconda : ASO n° 232


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Maria josé Montiel (La Cieca), Violeta Urmana (La Gioconda) et Claudio Sgura (Barnaba). Photos OnP / Andrea Messana.