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Photo Vanappelghem.

 

Deux compositeurs pour un Aiglon : à Monte-Carlo, Raoul Gunsbourg n’avait peur de rien. Mais Honegger et Ibert ont relevé le défi : chacun compose les actes les plus adaptés à son tempérament et rien n’y paraît – Ibert se charge du premier et du dernier, ainsi que de la suite de valses du troisième, Honegger des autres. Alors que L’Aiglon de Rostand se prêtait à un opéra à grand spectacle, les deux amis, en moins de deux heures de musique pour cinq actes, resserrent le drame – Henri Caïn avait lui-même réduit la pièce de Rostand. Ainsi passe-t-on de la cour de François Ier, où Metternich poursuit le malheureux Aiglon d’une haine féroce et sadique, à la plaine de Wagram où le roi de Rome, dont l’évasion échoue, revit la fameuse bataille. Valse viennoise d’un côté, épopée impériale de l’autre. Si différents pourtant, Honegger et Ibert se rejoignent, dans les deux derniers actes, pour insuffler à la musique une grande puissance dramatique – le premier se souvenant de ses musiques de film, de Mayerling et de Napoléon. Non moins impressionnant peut-être, le monologue du deuxième acte, où Metternich révèle son caractère démoniaque. De quoi rendre plus digestes des vers qui restent loin derrière ceux de Cyrano et prêtent souvent à sourire – le public ne s’en prive pas. L’Aiglon fut créé à Monte-Carlo en 1937.

L’Opéra de Lausanne reprend une production marseillaise de 2004, confiée alors par Renée Auphan au tandem Patrice Caurier / Moshe Leiser. Elle la réalise aujourd’hui, revenant sur une scène qu’elle dirigea brillamment pendant de nombreuses années, avant de partir pour Genève. Beaux décors néo-classiques, superbes costumes : on reconnaît bien la patte de l’équipe des deux metteurs en scène. La production est sage mais pertinente, littérale mais fine, avec des moments très réussis, comme le bal masqué très commedia dell’arte du deuxième acte, la chorégraphie des spectres de Wagram au quatrième.

Jean-Yves Ossonce préserve l’unité de l’œuvre, sa puissance et sa subtilité, tendant impitoyablement l’arc du drame, non moins heureux dans les « viennoiseries » que dans les moments épiques. Carine Séchaye, que l’on suit depuis longtemps, compense un timbre assez ingrat par la force de sa composition et le naturel de sa déclamation alors que son rôle la conduit aux limites de sa voix, surtout vers l’aigu. Ce naturel, c’est avant tout le Flambeau généreux et meurtri de Marc Barrard qui l’incarne, depuis longtemps l’un des meilleurs représentants du chant français. Il manque, en revanche, au Metternich de Franco Pomponi, dont la belle voix, du coup, peine à restituer toute la perversité d’un chancelier devenu un peu trop simple traître de mélodrame. La production ne s’en signale pas moins par son homogénéité, grâce aussi à la qualité des jeunes talents réunis avec discernement par Eric Vigié, notamment la Thérèse fruitée de Carole Meyer, qu’on retrouvera dans les futures productions de l’Opéra – Christophe Berry, ici Attaché militaire français, fera ses preuves en Gerald de Lakmé, pour l’ouverture de la prochaine saison.

D.V.M.