Magdalena Anna Hofmann dans Erwartung.
Dans son approche du Prisonnier de Dallapiccola, Alex Ollé tourne résolument le dos à l'interprétation politique traditionnelle. La scène s'ouvre sur l'image de la mère devant le corps de son fils, couché sur une civière, et l’action s’enclenche après son monologue comme si tout n'était qu'un long flash-back. L'enfermement et la torture sont devenus des éléments psychologiques et c'est l'errance d'un être traumatisé par une enfance abusée sexuellement, que nous raconte le metteur en scène. L'on devine, dans la scène avec le geôlier qui tient tout à la fois du prêtre et du père incestueux, ce qui continue de tourmenter l'adulte vêtu d'un simple slip, tentant d'échapper à ses souvenirs et à ses obsessions sur le plateau tournant plongé dans l'obscurité et où, derrière chaque porte, l'attendent les acteurs de son cauchemar. Dans sa fuite éperdue, le Prisonnier se rencontre lui-même enfant et adolescent et, au bout du tunnel, tandis qu'il s'écroule à l'avant-scène en balbutiant son interrogation finale, ce n'est pas lui mais le petit garçon que l'Inquisiteur prend par la main tandis que s'ouvre en fond de scène une petite porte de lumière blanche et aveuglante. Avec Erwartung, le metteur en scène revient à une lecture plus littérale et quasiment policière de l'intrigue, recréant dans le même dispositif de plateau tournant la forêt où erre la femme perdue, par un flux continu d'images vidéo en noir et blanc. S'y superposent les fragments d'un puzzle, indéchiffrables à force d'être grossis, détails d'une histoire mentale que reconstitue l'image finale et qui nous montre, dans une chambre dévastée, la femme poignardant son amant. L'effet de réel n'atténue en rien la force du propos du monodrame de Schoenberg, tout comme l'irréalité et le caractère fantasmé de la transposition du Prisonnier actualisent avec une très grande force le propos de Dallapiccola dont on sait qu'il fut obsédé très jeune par l'idée de la tyrannie.
Magdalena Anna Hofmann est plus crédible vocalement dans Erwartung que dans le rôle de la Mère du Prisonnier pour lequel il faudrait un authentique mezzo. Elle communique à chaque moment de son monologue ce sentiment d'urgence qui fait de l’héroïne la parente de Salomé et d’Elektra. Tout comme l'excellent Prisonnier de Lauri Vasar, à la voix chaleureuse et bien projetée, elle s'investit physiquement sans réserve dans son personnage. Tous deux n'appellent qu'une minime réserve qui porte sur la compréhension du texte italien, ce que l'on ne saurait reprocher à l'excellent Raymond Véry, merveilleusement insinuant et pervers dans son double rôle du Geôlier et de l’Inquisiteur. Kazushi Ono semble ici dans son élément et délivre de ces deux œuvres parfaitement unies par une intelligente mise en scène, une version tendue, pertinente et d'une grande force, offrant ainsi le meilleur spectacle d'un « festival » jusque-là quelque peu problématique.
A.C.
Lire aussi notre édition du Prisonnier : ASO n° 212
Dans le cadre du festival Justice/Injustice de l’Opéra de Lyon, lire aussi le compte rendu de Claude de Thierry Escaich et de Fidelio
A gauche : Lauri Vasar (le Prisonnier). Photos Jean-Louis Fernandez.