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On frôle souvent le naufrage dans cette vision « intergalactique » de Fidelio que le plasticien Gary Hill a voulu inscrire dans un univers inspiré du roman de science-fiction de Harry Martinson, Aniara. L'essentiel de la mise en scène repose sur un travail de vidéo très sophistiqué qui construit et déconstruit l'espace sidéral évoqué par le texte, travail dont les effets intriguent et séduisent d'abord par leurs qualités esthétiques mais qui finit vite par tourner à vide, faute d'un véritable projet dramaturgique et d'une quelconque direction d'acteurs. Les chanteurs, affublés d'invraisemblables costumes tout droits sortis d'un mauvais space opera des années 60, se contentent de circuler sur le plateau, montés sur des segways, avec l'air d'être en promenade. Les extraits du roman, au contenu pseudo-philosophique légèrement filandreux, que vient périodiquement déclamer une comédienne sur le plateau, ne parviennent pas à nous convaincre que cette transposition ajoute quoi que ce soit à l'universalité du message beethovenien, et la théâtralité de la pièce s'y dissout irrémédiablement. Il va sans dire bien sûr que les dialogues ont été réécrits pour coller à cette approche, ce qui ne serait encore rien, eu égard à la faiblesse des originaux, mais qui devient franchement odieux lorsque ce tripatouillage médiocre s'attaque à la superbe scène en mélodrame de Leonore et Rocco au deuxième acte et l'affadit de façon lamentable. Malgré tout, cette vision qui produit quelques belles images à côté de moments d'un ridicule achevé serait encore acceptable si le niveau vocal et musical venait un peu relever l'ensemble.

La distribution hélas ne dépasse jamais, dans le meilleur des cas, le niveau du correct et laisse une impression souvent assez approximative. Michaela Kaune ne parvient pas à faire exister son personnage, faute de moyens adéquats pour soutenir les aspects dramatiques du rôle de Leonore. Son « Abscheulicher » se révèle singulièrement laborieux et elle ne trouve vraiment un peu de crédibilité que dans les ensembles, grâce à sa belle voix de soprano lyrique. Malgré un beau métal cuivré et des aigus claironnants, Nikolai Schukoff ne réussit pas à faire passer le grand souffle mystique de son air de l'acte II pour lequel il n'a ni la carrure et ni la puissance. Du côté des personnages bouffes, on sauvera le Rocco bien chantant de Wilhelm Schwinghammer et l'excellent Jaquino de Christian Baumgärtel mais on s'interroge un peu sur l'adéquation de Karen Vourc'h au rôle de Marzelline qui demanderait une voix un peu plus corsée. Pavlo Hunka possède certes la couleur sombre appropriée pour Pizarro mais chante la plupart du temps hors du ton et en forçant sa voix de façon désagréable. Quant au Don Fernando d'Andrew Schroeder, il manque singulièrement d'autorité et de charisme. Kazushi Ono semble lui-même peiner à porter cette distribution sous-dimensionnée et ne parvient à la pousser dans ses derniers retranchements que dans quelques ensembles comme le duo du deuxième acte. De fait, la force et la grandeur de la partition de Beethoven n'émergent que par intermittence au cours de cette soirée qui laisse la désagréable sensation d'être musicalement inaccomplie et théâtralement amorphe.

A.C.

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Dans le cadre du festival Justice/Injustice de l’Opéra de Lyon, lire aussi le compte rendu de Claude de Thierry Escaich et de la soirée Il prigioniero / Erwartung


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Photos Stofleth.