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Artur Rucinski (Ford) et Ambrogio Maestri (Falstaff).

 

Avec la reprise de la production de Dominique Pitoiset, initialement présentée à l’Opéra de Paris en 1999, c’est un Falstaff de bon aloi et, surtout, d’amples dimensions, qui reprend possession du plateau de Bastille. Le décor d’Alexandre Beliaev est monumental : c’est un Windsor prospère qui se développe sous nos yeux : hauts bâtiments industriels de briquettes rouges, associant la blanchisserie fourmillante de Mrs Quickly à une Auberge de la Jarretière riche d’un parc automobile dernier cri (entendez, un modèle historique des usines… Ford, bien sûr, nous situant dans les années 1900). Dans cet extérieur/intérieur à la fois unique et mobile, la mise en scène joue de quelques caisses et meubles épars pour créer des espaces et recoins que la direction d’acteurs exploite habilement. Ce dispositif perd toutefois de son sel à mi-parcours : la mise à sac de la maisonnée Ford s’y dilue, et la scène de la forêt y manque d’onirisme et de piquant.

Il n’empêche : le plateau vocal y fait équipe selon une énergie communicative – mais à des degrés divers d’intérêt musical. Nannetta (Elena Tsallagova) et Fenton (Paolo Fanale) ne sont pas absolument rêveurs et juvéniles de timbre et de chant, et Svetla Vassileva dessert Alice Ford d’un medium rétif, d’un vibrato incontrôlé et d’un style peu châtié. C’est Meg que l’on remarque plutôt : excellente Gaëlle Arquez, de présence et de timbre. Parallèlement, le Ford d’Artur Rucinski est fort exact, quoique plus clair et moins ample que les interprètes habituels du rôle, quand le Doctuer Cajus de Raúl Giménez dépasse les usages, de son ténor jamais nasal, jamais étroit. Marie-Nicole Lemieux assoit un peu plus sa domination sur le rôle de Mrs Quickly qu’elle délivre avec le peps et le délié vocal qu’on lui connaît, et Ambrogio Maestri fait de même avec son Falstaff immense de stature et de voix : des aigus à emplir tout Bastille, et une sincérité d’incarnation touchante. Tout au plus une certaine lenteur à chauffer sa voix de tête, et une façon un peu trop ahanante de fleurir la phrase, mais c’est bien peu face au plaisir musical, théâtral et opératique, qu’offre l’artiste.

Toujours généreux d’élan et de pâte orchestrale, Daniel Oren reste pourtant extrêmement prudent de tempi, sans pour autant empêcher des problèmes de mise en place récurrents entre les solistes et l’Orchestre de l’Opéra. Or Falstaff doit ébouriffer par sa virtuosité, vibrionner, électriser : c’est cette dimension qui nous manque ici, nous laissant à un sentiment de sympathique jovialité – gage en soi d’une agréable soirée.

C.C.

Lire aussi notre édition de Falstaff : ASO n° 87-88


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Gaëlle Arquez (Meg), Marie-Nicole Lemieux (Mrs Quickly),Elena Tsallagova (Nannetta), Svetla Vassileva (Alice). Photos Opéra national de Paris / Mirco Magliocca.