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Rosemary Joshua (la Renarde), Hannah Esther Minutillo (le Renard) entourés de leurs Renardeaux.

 

C’est à Anvers, alors qu’il dirigeait l’Opéra des Flandres, que Marc Clémeur a initié un cycle Janáček en collaboration avec Robert Carsen – à qui il avait précédemment confié un cycle Puccini dans la même maison. Après Jenufa en 1999, une première Petite Renarde rusée en 2001 puis Katia Kabanova en 2004, l’aventure s’est déplacée à l’Opéra national du Rhin – dirigé par Marc Clémeur depuis 2009 – avec L’Affaire Makropoulos en 2011 puis une nouvelle Renarde en ce mois de février, et se poursuivra avec De la maison des morts à la rentrée prochaine.

Douze ans après sa première production, Robert Carsen trouve un ton juste et d’une fraîcheur revigorante pour sa nouvelle « Finoreille ». Une simplicité absolue préside à la scénographie de Gideon Davey qui convoque en chaque spectateur son regard d’enfant : la Nature avant toute chose, et la magie candide des « ficelles » théâtrales pour toute machinerie. Pour tout décor, un sol accidenté qui sera, tour à tour, le sous-bois forestier –flamboyant de feuilles mortes ou recouvert d’un drap de neige (au sens propre) –, ou les prés herbeux du village. Quelques éléments mobiles suffiront, ici ou là, à évoquer en sus l’auberge ou la maison du garde-chasse, et les oiseaux descendront des cintres en deus ex machina – ce qu’est bien le pivert, marieur in extremis des fiancés fautifs ! Il faut souligner les lumières, co-signées par Robert Carsen et Peter Van Praet, qui magnifient les reliefs, les atmosphères, les heures du jour et les saisons, participant de la beauté et de la réussite de cette scénographie. Quant aux costumes, ils trouvent l’exact équilibre entre référence animalière et métaphore plaisante : les cheveux et sweaters roux-orangé des renardeaux en font une adorable bande de gamins délurés, quand les bigoudis des poulettes traduisent avec humour l’horizon court de ces gallinacées au foyer. La direction d’acteurs est à l’avenant : la gestuelle corporelle mixe l’humain et l’animal avec un humour constant et selon un dosage subtil, que ce soit dans la chorégraphie vivace et exultante de Philippe Giraudeau (joyeuse et joueuse orgie sexuelle à la fin du II !), les déplacements mutins des jeunes chanteurs (excellents Petits Chanteurs de Strasbourg et Maîtrise de l’OnR) ou les incarnations principales.

Car comment dissocier ce bel effet d’ensemble des interprètes majeurs que sont Rosemary Joshua et Hannah Esther Minutillo ? La première – silhouette gracile et peps adolescent – est une Renarde fraîche et dévergondée, épatante dans sa liberté canaille et touchante quand elle découvre l’amour. Voix fruitée, séduction et candeur mêlées, à l’aise dans sa peau de renarde, elle semble s’éclater – pour parler comme Finoreille – dans le personnage. La seconde – Renard sexy et rock’n’roll dans son blouson de cuir feu – est tout autant adéquate : prestance du jeune séducteur, tendresse de l’amoureux, et chant à l’avenant… le Prince charmant en version fox ! Ajoutez un Garde-chasse solide et émouvant (Scott Hendricks), un Harasta finement dessiné (Martin Bárta), une galerie de personnages secondaires bien rendus et chantés, et vous obtenez un plateau vocal d’une rare homogénéité, tant dans sa qualité musicale que dans son aisance à habiter l’univers scénique de la production. Un regret néanmoins : la partition de Janáček pousse l’Orchestre symphonique de Mulhouse dans ses retranchements, tant en termes de mise en place que de précision technique. A sa tête, Fridemann Layer semble donc plus soucieux de conserver à ses troupes leur ensemble que de peaufiner leurs nuances : sa direction est attentive mais contrainte, l’architecture et les atmosphères orchestrales font long feu.

Il n’empêche : les chanteurs et la mise en scène sont suffisamment justes, à l’exacte croisée de la nature sauvage et du sentiment sensible, pour que la Renarde soit là, devant nous, et éveille en nous son bel instinct de vie, et de joie. « C’est un conte ou la réalité ? » se demande le Garde-chasse – c’est un conte et la réalité, et c’est la magie du théâtre, quand il parvient ainsi à fondre l’une en l’autre.

C.C.

Lire aussi notre édition de La Petite Renarde rusée : ASO n° 252

Janáček, mode d'emploi, par Marianne Frippiat

Robert Carsen, opéra et mise en scène : ASO n° 269


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Rosemary Joshua (la Renarde), Anaïs Mahikian (le Coq) et les Poules. Photos Frédéric Godard.