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Marc Laho (Fernand) et Alice Coote (Léonor).

 

Avec La Favorite (1840) Donizetti a, comme Rossini avant lui et comme ensuite Verdi, sacrifié au genre du grand-opéra français. Le compositeur était fondamentalement attiré par la dramaturgie puissante et monumentale du genre, comme il était curieux des voyages stylistiques : n’a-t-il pas mené à leur sommet aussi bien le melodramma romantique italien (Lucia di Lammermoor) que l’opera buffa (Don Pasquale) ou l’opéra-comique (La Fille du régiment) ? Pâtissant d’un livret malhabile (signé Royer et Vaëz), La Favorite réussit pourtant à être une partition plus qu’attachante : marquante. Le « cahier des charges » du grand-opéra délivre son lot de moments forts, notamment l’anathème papal jeté sur le roi et sa maîtresse par la basse profonde du prêtre Balthazar, ou bien la rébellion de Fernand devant Alphonse et sa cour. On regrettera que le Théâtre des Champs-Elysées, quitte à programmer l’ouvrage – ce qu’il faut saluer – n’ait pas osé lui conserver son ballet, particulièrement vivace. Mais La Favorite, c’est aussi une succession d’airs à l’intimité tour à tour brûlante ou éthérée, à la veine mélodique toujours heureuse, dessinant des personnages attachants et passionnés – le tout justifie l’incroyable succès qu’a connu l’œuvre durant un siècle avant de disparaître du paysage.

La production du Théâtre des Champs-Elysées – qui a joué de difficultés, avec changement en cours de route de metteur en scène et de ténor, puis interprètes féminines grippées pendant les répétitions – ne rend qu’imparfaitement justice à l’ouvrage. En premier lieu, son climat tourmenté qui oppose jusqu’à la mort passion amoureuse et vocation monastique, courtisanerie et amour pur, se trouve brutalement refroidi par la scénographie clinique d’Andrea Blum. Si l’aspect high-tech du couvent – passerelles de métal et rideau d’halogènes – peut servir une austérité claustrale, la nature avenante censée accueillir les rendez-vous secrets de Fernand et Léonor conserve la même aridité, comme l’Alcazar de Séville et ses jardins – vides et gris, eux aussi. Un tel plateau nu et glacé est un terrain risqué pour y faire vivre un grand-opéra : sa rhétorique y devient aisément outrance voire ridicule. Dès lors, la mise en scène de Valérie Nègre n’empêche pas les rires du public à des moments qui devraient être clouants, d’autant qu’elle n’affine pas le jeu conformiste des interprètes ni ne résout le « problème » des chœurs – le clin d’œil humoristique ne fonctionne pas, faute d’une parfaite mise en place et d’un écrin suffisamment goûteux pour lui donner son sel.

Le plaisir vient avant tout du plateau vocal – en dépit du Balthazar court de graves et au français impossible (prononciation et style !) de Carlo Colombara. Car Alice Coote possède la voix de Léonor, son mezzo long et plein, et en brosse une incarnation mûrie et prenante ; les registres sont très habilement liés, et si quelques sanglots ou sons pris par en dessous semblent convoquer une extraversion anachronique, ce n’est jamais aux dépens de la ligne, du sens ou de l’élégance d’ensemble. Marc Laho est un Fernand également adéquat, dont le chant bien accroché passe sans les distordre les tensions du personnage, et dont le sens musical nous offre aussi des nuances rares et stylées. Curieusement, Ludovic Tézier semble pour une fois surcharger son chant ; le timbre de bronze est bien celui d’Alphonse, le soin apporté à la ligne est comme toujours sans faille, mais la « cuisine interne » du chanteur et de sa technique (et notamment le passage d’une consonne à l’autre) déborde un peu… Inès très fruitée de Judith Gauthier, excellent Gaspar de Loïc Félix. Hélas, à la tête de l’Orchestre national de France, Paolo Arrivabeni joue plus la carte du gros son – parfois même bruyant – que des teintes en clair-obscur dont la partition est pourtant riche. Il y a donc fort à craindre que, malgré une distribution de belle eau, cette production ne parvienne pas à renouveler la place de La Favorite dans notre répertoire. Et pourtant…

C.C.

Lire aussi notre édition de La Favorite : ASO n° 271


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Carlo Colombara (Balthazar), Ludovic Tézier (Alphonse), Alice Coote (Léonor), Marc Laho (Fernand) et Loïc Félix (Gaspar). Photos Vincent Pontet / WikiSpectacle.