OEP275_1.jpg
Nataliya Tymchenko (Emma), Larissa Diadkova (Marfa), Vladimir Galouzine (Prince Andrei Khovanski) et Gleb Nikolski (Prince Ivan Khovanski), entourés des Chœurs de l'Opéra national de Paris.

 

La Khovantchina est rare à Paris : l’ouvrage a fait sa véritable entrée au répertoire de l’Opéra avec la production d’Andrei Serban en 2001. Sa reprise est à la fois l’occasion de redécouvrir une partition captivante – surtout dans la version orchestrée par Chostakovitch en 1959 et qui respecte l’âpreté du ton moussorgskien – et une mise en scène qui rend justice à ses multiples atmosphères. Les scènes de genre sont assumées dans leur pittoresque le plus chatoyant : la danse des esclaves persanes est toute de gazes voluptueuses, les paysannes en colère plus vraies que nature et les soldats ont l’ivresse dansante. La fresque historique, qui mêle plusieurs univers (paysans et streltsy, boyards et princes, tsar et moines) et traverse les revirements de leurs luttes intestines, joue la carte du spectaculaire en s’appuyant sur une scénographie (Richard Hudson) dont la cohérence fait l’efficacité : un décor à l’abstraction lisible, sobrement ornée de quelques symboles stylisés (les inévitables bulbes d’églises et croix orthodoxe) ; des costumes qui compensent cette épure par une riche couleur locale, le tout s’harmonisant en une élégante gamme de gris, d’ors et de rouges. Le travail d’Andrei Serban, enfin, outre qu’il gère de façon vivace les multiples chœurs – selon une naïveté de livre d’images –, use d’une direction d’acteurs qui dessine des personnages toujours en évolution : le portrait de Golitsine en prince fin-de-règne, plus attentif à sa manucure et à sa perruque qu’à la politique, la satisfaction du Clerc quand il a annoncé aux streltsy leur condamnation, sont de ces détails qui éclairent et accrochent le spectateur. On retient aussi le dernier tableau, celui de l’immolation collective des Vieux-Croyants : une forêt de bouleaux s’évanouit dans la cendre, d’où émerge – du trou du souffleur – un tsarévitch en tenue d’apparat. « C’est au tour du pauvre petit… » – et la poésie de Serban laisse ouverte la lecture de cette image finale : un Pierre le Grand en devenir, gage de réformes futures, mais encombré aussi d’un faste atavique.

La distribution, entièrement russophone, est quasiment sans faux-pas. Le « quasiment » étant à chercher du côté de l’Ivan Khovanski de Gleb Nikolsky : si sa haute stature en impose scéniquement, si le timbre a l’autorité du chef, le chant accuse de nombreux problèmes d’intonation et abuse de portamenti appuyés. Mais quelle galerie de portraits vocaux, avec l’Andrei puissant et aisé de Vladimir Galouzine, le Golitsine claironnant et impeccable de Vsevolod Grivnov, le Chakloviti rutilant de Sergey Murzaev ! Ajoutez des « petits rôles » croqués avec panache (Susanna tranchante, Clerc vibrionnant, Kouzka franc et joueur, Emma pleine d’impact – malgré son personnage vite sacrifié), un Dosifei qui, s’il n’est pas d’une profondeur abyssale, est d’une parfaite musicalité (Orlin Anastassov), et une Marfa tout simplement scotchante (ampleur du timbre, liaison des registres plongeant sans hiatus dans une voix de poitrine opulente, implication de l’incarnation). En fosse, Michail Jurowski mène la partition vers sa flamboyance avant tout, au prix parfois de l’équilibre avec le plateau – il n’empêche pas non plus de multiples décalages, comme si les tempi n’avaient pas été exactement accordés entre chanteurs et orchestre –, et le chœur de l’Opéra s’investit avec une belle ampleur. Une soirée revigorante.

C.C.

Lire aussi notre édition de La Khovantchina : L’ASO n° 57-58


OEP275_2.jpg
La scène finale. Photos OnP/Ian Patrick.