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En bas : Allan Clayton (Troisième Ange / Jean) - Tim Mead (Premier Ange / Le Garçon) - Barbara Hannigan (Agnès). En haut : David Alexander – Sarah Northgraves - Peter Hobday – Laura Anne Harling (acteurs, Anges archivistes).

 

Fort de son succès sans ombre au dernier Festival d’Aix-en-Provence, le premier opéra de George Benjamin arrivait à Toulouse entouré d’une aura éblouissante. Sur les planches du Capitole, la magie de Written on skin aura de nouveau opéré, intacte, accompagnée du sentiment d’évidence qui accompagne les chefs-d’œuvre.

Premier atout, et non le moindre, de cette magnifique production : la rare adéquation entre un livret – conçu par Martin Crimp comme un texte à part entière – extrêmement efficace, une écriture musicale apte à le vêtir de chair et de veines, et une mise en scène aussi sobre qu’éclairante, arrime solidement le socle de l’édifice. La légende médiévale de Guilhem de Cabestanh offre une configuration dramaturgique presque archétypique (la relation triangulaire entre un mari violent, sa femme, et l’amant de celle-ci, introduit dans le foyer par le mari lui-même), dont Martin Crimp exploite le fort potentiel sans en être l’esclave. Le troubadour, devenu ici un enlumineur (le Garçon) chargé par un riche et puissant seigneur (le Protecteur) de réaliser un livre à sa gloire, ne tardera pas à partager un amour brûlant avec l’épouse (Agnès), laquelle exigera de lui, au faîte de leur passion, qu’il inscrive dans son livre la preuve explicite de leur relation amoureuse. Simple mais subtil, concentré mais clair, le texte bénéficie du décentrement du temps de l’action principale par celui des anges qui l’observent, neutres, voire froids et indifférents, du haut de leur xxie siècle. Trois d’entre eux, dont le Garçon, prennent part au drame, créant un lien entre les différents compartiments du dispositif scénique, allusion probable au cloisonnement de certaines enluminures médiévales. À jardin, des pièces à la blancheur clinique servent d’antichambre au décor médiéval, tout en couleurs ocres, où se noue la catastrophe. Les personnages principaux, à la fois acteurs et leurs propres narrateurs lorsqu’ils basculent au style indirect et à la troisième personne, se situent simultanément au cœur de l’implication affective et dans un hors-soi distancié.

L’écriture vocale développée par George Benjamin, sobre et directe, sonne admirablement juste. D’une grande pureté, les lignes se superposent en des polyphonies dont on oublie l’orfèvrerie contrapuntique tant elles épousent avec naturel dans la nécessité dramaturgique. Christopher Purves montre non seulement la pleine maîtrise d’une voix riche et dense, capable de puissance sans jamais donner l’impression de forcer, capable aussi de détimbrer totalement lorsque l’état émotionnel de son personnage le requiert, mais aussi sa pertinence en tant qu’acteur. Le bien nommé Written on skin est un opéra à fleur de peau. Barbara Hanningan, magnifique, est aussi émouvante dans la soumission à son mari tyrannique que dans sa passion amoureuse, son émancipation et son attitude de défi. Le contre-ténor Tim Mead, peut-être moins charnel que Bejun Mehta à Aix, est encore plus troublant dans son double statut de Garçon/Ange. Marie, rendue bien plus terrienne par le mezzo charpenté de Victoria Simmonds, apporte sur scène un heureux contrepoint de caractères.

On ne peut qu’être saisi par l’économie de l’ouvrage : aucun temps mort, rien de superflu. L’action, ramassée, elliptique est soutenue par une écriture orchestrale dont l’étagement en plans, soigneusement restitué par Frank Ollu, contribue à la limpidité de l’ensemble. L’orchestre du Capitole ménage un joli contraste entre les passages rythmiques et les texture étales qui, lorsque s’y adjoignent la basse de viole et le glass harmonica, donnent le frisson. L’effet de ralenti de la scène finale, entre autres idées lumineuses de Katie Mitchell, est tout simplement à couper le souffle.

P.R.


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Barbara Hannigan (Agnès) - Christopher Purves (Le Protecteur). Photos Patrice Nin.