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Anna Caterina Antonacci (Carmen).

 

La première véritable nouvelle production de la saison 2012-2013 de l’Opéra de Paris n’est pas la réussite flamboyante que l’on aurait espérée. Certes – et c’est déjà beaucoup –, la partition de Bizet telle qu’elle s’élève de la fosse de l’Opéra Bastille déploie ce souffle âpre et lyrique propre à titiller le patriotisme cocardier enfoui en chacun de nous. D’autant que la direction de Philippe Jordan, alternant magistralement déflagration et poésie, la fait sonner comme pour la première fois : on redécouvre la puissance musclée, la tension fatale et la grâce ciselée de l’ouvrage, sans une once de la banalité qui affadit souvent les succès planétaires. A cette superbe Carmen orchestrale répond une remarquable Carmen vocale : Anna Caterina Antonacci possède, outre l’instrument du rôle et la séduction physique du personnage, une diction française parfaite et une souplesse d’émission qui lui permet de poitriner sans écraser son timbre, d’être féline sans lascivité et lyrique sans se départir d’une latinité dignement flamenca. Que le vaste espace de l’Opéra Bastille soit parfois sur-dimensionné pour sa projection n’étonne pas : il l’est de toute façon pour Carmen en général, surtout dans sa version avec dialogues parlés, comme ici. A l’exception de Nikolai Schukoff, en méforme notable à partir du troisième acte après, pourtant, de belles nuances dans l’Air de la fleur, le plateau vocal est d’une grande homogénéité : le timbre piquant d’Olivia Doray (Frasquita) est bien conduit, le Zuniga de François Lis est impeccable, et l’on remarque le Morales bien-chantant d’Alexandre Duhamel. Genia Kühmeier est une Micaela très stylée et nuancée, et Ludovic Tézier fournit à son habitude l’autre leçon de chant français de la soirée, avec un Escamillo de haute tenue (malgré quelques déroutes d’intonation le soir de la première) – bien que desservi par un costume de torero hautement improbable au regard de son physique.

Théâtralement, on attendait beaucoup de cette nouvelle Carmen, réalisée par un metteur en scène dont on avait aimé, notamment, l’Orphée aux Enfers aixois ou le récent On ne badine pas… du Français, et succédant à la production d’Alfredo Arias maintes fois reprise depuis 1997. Yves Beaunesne ne mérite certainement pas les huées vindicatives qui, soirée de première parisienne oblige, ont accueilli sa proposition – pas plus qu’Anna Caterina Antonacci, à qui elles s’adressaient aussi, fort grossièrement. Rien de honteux dans cette Espagne partagée entre franquisme et movida, où Micaela semble corsetée dans les années cinquante quand la taverne de Lillas Pastia tient du cabaret almodovarien, avec force créatures extraverties, vêtues de cuir et de paillettes. On aurait pourtant aimé que le metteur en scène, quitte à choisir une transposition aussi chargée de tensions potentielles, aille plus loin dans le choc des mondes. Or les idées tournent court, enfermées dans un décor unique qui peine à traduire les atmosphères contrastées de l’ouvrage et se charge de mouvements gratuits. Plus que d’une passion enflammée ou d’une liberté zénithale, cette Carmen brûle d’une fièvre du samedi soir de seconds couteaux. La cigarière se rêve Marilyn… mais on a trop vu désormais ce brushing décoloré, et la direction d’acteurs la laisse bien statique (à chacun de ses airs !) ou réservée (on se souvient pourtant de la danse de séduction d’Antonacci à l’Opéra-Comique en 2009…). Escamillo se voudrait Elvis, le Dancaïre a de faux airs de petit caïd travoltien et l’on twiste chez Pastia : mais cette échappée légère ne trouve pas son pendant dramatique nécessaire, et le quatrième acte reste assez terne : Carmen semble peu concernée et la pénombre fait loi. Or on voudrait, sur scène, le vitriol du soleil et de la mort, tel qu’il émane de l’orchestre.

C.C.

Lire aussi notre édition de Carmen, ASO n° 26


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Louise Callinan (Mercedes), Anna Caterina Antonacci (Carmen),Olivia Doray (Frasquita) et Ludovic Tézier (Escamillo). Photos OnP/Charles Duprat.