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Il ne manque aucun numéro obligé à ce Cappello di paglia di Firenze (1955) qui nous promène, une heure quarante durant, dans une sorte d’anthologie de l’opéra buffa italien. Pas même une authentique tempête avant le dénouement du IVe acte, bien que celle de Nino Rota regarde plutôt du côté de La Walkyrie et d’Otello que du Barbier de Séville. L’opéra seria, du reste, n’est jamais bien loin non plus dans ce pastiche de haut vol : Bellini et Donizetti pointent leur nez dans les moments lyriques que le compositeur concède à la jeune mariée, son entrée intimidée au Ier acte et son désespoir, vite dissipé, au dernier. On entend aussi passer Cilea et les véristes, dans la scène de la Baronne et de Fadinard, Verdi dans le monologue du mari jaloux à l’acte III et, bien sûr, les finales démarquent le crescendo à la Rossini à l’acte I (« Io casco dalle nuvole ») comme Falstaff se fait entendre dans le joyeux charivari du chœur dédoublé – les invités de la noce et ceux de la baronne – à la fin de l’acte II.

Un peu à la manière de Philippe Boesmans aujourd’hui, Nino Rota s’amusait déjà dans les années 50 à perdre l’auditeur dans les méandres de réminiscences vite disparues, mais sa partition parle obstinément le langage du XXe siècle. Concise, variée et pleine d’esprit, elle ne s’installe jamais dans aucune complaisance mélodique. Le lyrisme n’y est souvent que suggéré, et les numéros se succèdent sans discontinuer, comme autant d’amuse-bouche dont le plat de résistance n’arriverait jamais, nous laissant parfois même un peu sur notre faim. La mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser joue la carte de la caricature dans une ambiance d’époque et des décors « construits » tout en demi-teintes et en camaïeux de bruns et de gris. Les tableaux s’enchaînent avec une remarquable fluidité comme autant d’estampes et l’on reconnaît, dans cette noce parisienne en déroute, les petits-bourgeois à nez pointus ou retroussés de Daumier, débordants de candeur et d’autosatisfaction. Ce petit monde ridicule et parfois attendrissant est incarné avec brio par une équipe épatante où se détachent particulièrement les deux grands rôles de baryton : le Nonancourt bougon de Peter Kalman et l’imposant Malpertuis de Claudio Otelli. Du côté féminin, on adore l’exubérante baronne d’Elena Zilio et la délicate Elena d’Hendrickje Van Kerckhove. Elzbieta Szmytka joue habilement d’un vibrato un peu large pour donner tout son pathétique à Anaide, la femme adultère. Le ténor lyrique-léger de Philippe Talbot sied bien à Fadinard tant qu’il se promène du côté de Fenton, Elvino et Nemorino, et marque quelques limites quand on s’approche de Maurice de Saxe. Tous les petits rôles seraient à citer autant pour leur adéquation vocale que pour leur présence scénique, de l’Emilio de Boris Grappe à Jean-Louis Meunier dans le double rôle du garde et du violoniste Minardi, et l’on gardera une place de choix pour la splendide basse du caporal de Guy-Etienne Giot.

L’homogénéité du chœur d’Angers Nantes Opéra, la légèreté et la finesse de touche de l’Orchestre national des Pays de Loire, aux coloris instrumentaux très vifs, la direction enlevée de Giuseppe Grazioli – grand spécialiste et défenseur de l’œuvre de Nino Rota –, apportent l’élégance vive et le raffinement nécessaires à cette partition pleine de surprises, et constituent l’élément moteur d’un spectacle festif et totalement réussi.

A.C.


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Photos Jef Rabillon.